SERGE GAINSBOURG – Initials B.B.

Période anglaise

(Philips 1968)

Sur ce disque (son meilleur?), Gainsbourg semble ici très loin de ses débuts de chanteur – pianiste à l’accompagnement jazzy (orchestré par Alain Goraguer).

Depuis son dernier album ‘officiel’ (“Percussions”, en 1964), Gainsbourg a pris la révolution pop-rock en pleine face: “L’avènement des ‘yéyés’, les mecs et leurs guitares électriques, je sentais que pour moi, c’était fini.” La scène musicale française est partagée: d’un côté, ceux qui font comme si de rien n’était, de l’autre, ceux qui reprennent les succès rock anglais et américains (avec, la plupart du temps, des traductions extraordinaires que l’on aurait préféré éviter). Gainsbourg trouve son salut dans la fuite: il part s’installer à Londres, où il va travailler avec des arrangeurs en vogue (comme David Whitaker et Arthur Greenslade). Le résultat de son exil volontaire va être le plus grand album de pop sixties français, sorti au début de l’été 1968.

L’album est une suite de fantastiques singles pop. La chanson-titre, “B.B. Initials”, est une ode à Brigitte Bardot sur laquelle la musique (arrangée par Greenslade, avec orchestration imparable, descente de violons et chœurs féminins) encadre à merveille le texte, une description idéalisée de celle qui vient de le quitter, que Gainsbourg déclame plus qu’il ne chante: “Une nuit que j’étais / A me morfondre / Dans quelque pub anglais / Du cœur de Londres…”. Quelques années plus tôt, Gainsbourg chantait “Sois belle et tais-toi” (Gainsbourg N°2; 1959); ici, même si l’apparition est dotée de la parole, elle n’est pas franchement bavarde: “Agitant ses grelots / elle avança / en prononçant ce mot: / Alméria”. Néanmoins, BB elle-même chante (enfin, elle essaye); sur “Bonnie & Clyde”, son improbable timbre de voix atteint des notes plus qu’approximatives. Malgré ces imperfections – ou à cause de celles-ci – la chanson est extraordinaire, une des meilleures de cet album magnifique, est demeure une référence de la “période anglaise” de Gainsbourg (1965-1969).

De la même façon, sur la plupart des chansons de cet album, Gainsbourg s’efface et partage le chant avec une (ou plusieurs) voix féminine(s), se limitant très souvent à une sorte de narration fredonnée (“Bonnie & Clyde”; “Ford Mustang”; “Docteur Jekyll et Mr. Hyde”…) et laissant s’envoler les chœurs féminins (“Hold-Up”; “BB Initials”; “Qui est In, Qui est Out”…) et les arrangements, qui n’ont rien à envier aux meilleurs groupes anglo-saxons.  

De plus, Gainsbourg va ajouter au savoir-faire de ses arrangeurs et de ses musiciens son approche de pianiste jazz, son phrasé et son cynisme. Ses textes alternent entre un modèle d’écriture pop (où assonances et allitérations sont de mise): “Cœur contre cœur le cœur bat plus vite / Comme sous l’emprise de la peur / Mais tandis qu’en toi le tien s’agite / C’est à peine si j’entends mon cœur” (“Bloody Jack”) et le, disons, je-m’en-foutisme ultime: “Tu aimes la nitroglycér-In  / C’est au Bus Palladium qu’ça s’éc-Out  / Rue Fontaine il y a foul’ / Pour les petits gars de Liverpool” (“Qui est In, Qui est Out”). Il abandonne les formes classiques de la poésie et compose avec les onomatopées (“Comic Strip”; “Shu Ba Doo Ba Lu Ba”). En outre, il pose sa voix avec une distance et une ironie unique (ce qui sera sa marque de fabrique); dans le refrain de “Hold-Up”, il répond à la voix suraiguë de la chanteuse un définitif: “Et ouais, un hold-up”. De même, dans “Docteur Jekyll…”, sa ligne ” Je vous dis que je ne suis pas le docteur Jekyll” est tout simplement un modèle du genre.

A cet album classique viennent s’ajouter (dans la version CD, sortie en 2001) des morceaux extraordinaires à (re)découvrir: parmi ceux-là, “Chatterton” (dont le texte minimaliste est néanmoins imparable: ” Chatterton, suicidé / Cléopâtre, suicidée / Isocrate, suicidé / Goya fou à lier / Quant à moi, ça ne va plus très bien”), et le plus célèbre “Requiem Pour Un Con” (“Ecoute les orgues / Elles jouent pour toi / Il est terrible / Cet air-là”) font de ce disque la merveille pop-rock de Gainsbourg (le disque à faire écouter à ceux qui ne connaissent de Gainsbourg que ses frasques télévisuelles et ses albums Love On The Beat et You’re Under Arrest).

 

 

Tracklisting : 

1. Initials B.B. *
2. Comic Strip *
3. Bloody Jack
4. Docteur Jekyll Et Mister Hyde *
5. Torrey Canyon
6. Shu Ba Du Ba Loo Ba
7. Ford Mustang
8. Bonnie And Clyde *
9. Black And White
10. Qui Est In Qui Est Out *
11. Hold Up
12. Marilu

 

Vidéos :

“Qui est in, qui est out”

 
“Dr Jekyll & Mr Hyde”
 
 
“Initials BB”
 

 

Vinyle :

Gainsbourg

 

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14 Commentaires
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Eric (PlanetGong)
Invité
Eric (PlanetGong)
8 juin 2006 6 h 27 min

La, tu lances un gros debat avec ton "(le meilleur?)"… parce que du coup ca implique a reflechir aux autres albums, ce qui amene a penser "nom de dieu, il est trop fort Serge".

La discographie ecrasante de Gainsbourg ne flirte que tres rarement avec la mediocrite (les albums que t’as cite, et puis le reggae aussi car au bout d’un moment ca soule). Apres c’est quasiment que du gros chef d’oeuvre et il faut elaguer,. La ca devient difficile, et les choix versent dans une subjectivite obligatoire.

Je devrais lancer un sondage la-dessus (celui sur les Libertines sent un peu le faisande)

 

 

Spe
Invité
Spe
13 juin 2006 9 h 51 min

Le meilleur de Gainsbourg ??? Je ne vais pas être original voir absolument banal mais je me prononcerai pour “L’Histoire de Melody Nelson” et “L’Homme à tête de choux” à égalité. Comment ne pas être envouté par la sensualité de “L’hotel particulier” et surtout de “Variation sur Marylou” dans son regard absent et son iris absinthe…

verovero7
Invité
verovero7
13 décembre 2008 1 h 01 min

Très bel album. C’est vrai.
Un grand merci aussi tout de même à Anton Dvorak et sa symphonie n°9 pour Initials BB.

Benoit
Invité
Benoit
1 mars 2009 3 h 34 min

Très déçu également par l’expo. Ambiance froide, mauvais mélanges sonores et lumineux. Trop d’infos tuent l’info n’est-ce pas ? Frises trop petites, etc etc.
Très déçu. A peine entré, j’avais envie de sortir.
J’avais également remarqué le coup de la dumée de cigare dans Initials B.B.

blacksabbath43
Invité
blacksabbath43
19 juillet 2009 4 h 03 min

Un chef d’oeuvre cet Initials BB.

Tiens sinon j’ai une question : vous savez de quoi parle Gainsbarre quand il parle de sa “remington portative” ? Merci d’avance.

Et enfin, pensez-vous que quand il a écrit l’homme à la tête de chou, il pensait à Bayrou (mais euhhhhhhhh!) ?

Rémi
Invité
19 juillet 2009 1 h 07 min

Bonsoir,
une “Remington portative”, c’est une machine à écrire (de la marque… “Remington”). Etonnant, non?

blacksabbath43
Invité
blacksabbath43
19 juillet 2009 3 h 24 min

Cool, merci pour l’info Remi.

Avec toutes ces nouvelles technologies à la con, notre génération oublie le objets qui ont fait le succès des trentes glorieuses de nos parents… Donc merci pour ce rafréchissement de mémoire.

C’est un peu comme les coco boer. Notre génération a oublié ce que c’était…

Frydman Charles
Invité
Frydman Charles
29 février 2012 7 h 12 min

Malgré plusieurs confirmations disant que le choeur féminin chantant le refrain de “Initials BB” prononce:

“BB initials” avec un bon accent anglais…. moi j’entend le mot Bébé avec l’accent français…Quant à Initials, le mot est peut-être dit avec l’accent anglais, mais j’entends “messieurs”. Un
anglophone pourrait-il me confirmer que c’est du bon anglais avec l’accent !

Sur la vidéo youtube ci-après , on voit le choeur féminin derrière la vitre 2mn 12 s après le début.:

 

verovero7
Invité
verovero7
13 décembre 2008 1 h 01 min

Très bel album. C’est vrai.
Un grand merci aussi tout de même à Anton Dvorak et sa symphonie n°9 pour Initials BB.

Benoit
Invité
Benoit
1 mars 2009 3 h 34 min

Très déçu également par l’expo. Ambiance froide, mauvais mélanges sonores et lumineux. Trop d’infos tuent l’info n’est-ce pas ? Frises trop petites, etc etc.
Très déçu. A peine entré, j’avais envie de sortir.
J’avais également remarqué le coup de la dumée de cigare dans Initials B.B.

blacksabbath43
Invité
blacksabbath43
19 juillet 2009 4 h 03 min

Un chef d’oeuvre cet Initials BB.

Tiens sinon j’ai une question : vous savez de quoi parle Gainsbarre quand il parle de sa “remington portative” ? Merci d’avance.

Et enfin, pensez-vous que quand il a écrit l’homme à la tête de chou, il pensait à Bayrou (mais euhhhhhhhh!) ?

blacksabbath43
Invité
blacksabbath43
19 juillet 2009 3 h 24 min

Cool, merci pour l’info Remi.

Avec toutes ces nouvelles technologies à la con, notre génération oublie le objets qui ont fait le succès des trentes glorieuses de nos parents… Donc merci pour ce rafréchissement de mémoire.

C’est un peu comme les coco boer. Notre génération a oublié ce que c’était…

Frydman Charles
Invité
Frydman Charles
29 février 2012 7 h 12 min

Malgré plusieurs confirmations disant que le choeur féminin chantant le refrain de “Initials BB” prononce:

“BB initials” avec un bon accent anglais…. moi j’entend le mot Bébé avec l’accent français…Quant à Initials, le mot est peut-être dit avec l’accent anglais, mais j’entends “messieurs”. Un
anglophone pourrait-il me confirmer que c’est du bon anglais avec l’accent !

Sur la vidéo youtube ci-après , on voit le choeur féminin derrière la vitre 2mn 12 s après le début.:

 

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