GAINSBOURG (Vie héroïque)

Un possible parmi d'autres

Film de Joann Sfar

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient tout d’abord de préciser que Gainsbourg (Vie héroïque) mérite sans doute le prix du film le plus enfumé de l’année 2010. Ca tire allègrement sur des tiges dans tous les coins et, c’est bien simple, tous les personnages fument, de la Gitane à papa à la brindille classieuse pour femme élégante en passant par la pipe et le cigare. Une orgie de tabac guère surprenante dans un film sur Gainsbourg, mais qui ne manque pas de susciter une certaine sympathie à l’heure où les goudronneux de tous poils sont gracieusement invités à satisfaire leurs envies de nicotine à l’abri du regard des gens sains et bien élevés. Rappelons au passage que certains esprits larges, après avoir cherché des noises au barreau de chaise de Dutronc, voulaient priver Sergio de sa cigarette sur l’affiche du film. Triste époque.

Le film s’attaque au mythe sous un angle original, l’auteur Joann Sfar s’intéressant davantage aux doubles de Gainsbourg qu’à sa vie réelle, comme il le rappelle avant le clap de fin. Loin d’être un biopic classique (et donc dénué d’intérêt sur le plan esthétique), Gainsbourg (Vie héroïque) explore les obsessions et les fantasmes gainsbourgiens et tente de mettre en images l’univers parallèle créé par l’artiste dans ses chansons. Il met en scène les alter ego de Sergio qui sont autant de projections des différentes facettes de son moi (le dandy tenté par les plaisirs et le succès faciles) ou d’images de lui-même que le monde lui renvoie parfois violemment (le Juif monstrueux de la France de Vichy). Ces visions fantasmatiques, récurrentes dans les textes du monstre autoproclamé, de « Intoxicated man » à « Yellow star » en passant par « L’homme à la tête de chou », permettent à l’homme et à l’œuvre de s’éclairer mutuellement. Le héros de ce qui se présente explicitement comme un conte évolue dans un monde à mi-chemin entre le factuel et l’onirique, le biographique et le merveilleux,  étrange entre-deux peuplé de créatures sorties de l’imagination du chanteur.

Le pari osé de Sfar rappelle celui tenté et plutôt réussi par Todd Haynes dans I’m Not There, film sur Bob Dylan sorti sur les écrans en 2007, dans lequel coexistent des images associées à Dylan dans l’imaginaire collectif (le protest-singer, le rocker-poète caché derrière ses lunettes noires) et des versions fictives de l’artiste tissées par le mythomane Dylan à longueur de chansons, de notes d’album et d’interviews de faussaire (le gamin qui a appris à jouer le blues dans les boxcars, le cow-boy échappé d’un livre sur le Far-West). L’intelligence des deux réalisateurs réside dans le fait qu’ils cherchent à nourrir leur film de l’univers de l’artiste qui en est le centre et d’ainsi faire pénétrer dans le champ biographique la subjectivité d’une grille de lecture toute personnelle. Joann Sfar, auteur de bande dessinée, se sert également du dessin comme d’un fil conducteur, rappelant par là-même que la peinture était la vocation première de Gainsbourg.

Ce sont bien évidemment les rencontres de Serge avec les femmes qui rythment le film. Elles sont toutes là, ses égéries, ses muses et ses amantes: Juliette Gréco (Anna Mouglalis), Brigitte Bardot (Laetitia Casta), Jane Birkin (Lucy Gordon), Bambou (Mylène Jampanoï), tombées sous le charme d’un homme qui ne supporte pas sa gueule et qui leur donnera des nuits blanches, des chansons, des migraines, des enfants. La rencontre avec France Gall, parfaite ingénue et petite fille yé-yé dans la bouche de qui Gainsbourg mettra les mots les plus savoureusement ambigus, s’avère particulièrement croustillante. Malheureusement, l’évocation des amours gainsbourgiennes n’échappe guère aux clichés et donne au spectateur l’impression de feuilleter un joli livre de photographies en papier glacé sur le sujet, tant les scènes entre Gainsbourg et ses diverses conquêtes paraissent inertes et figées. Le film va alors à l’encontre de son ambitieux projet pour devenir une simple suite parfaitement mise en scène de tableaux convenus, comme si Sfar n’avait pas totalement réussi à faire fi de certains passages obligés.

Le film tend à sortir à nouveau des chemins du conte pour revenir à des sentiers plus balisés dans son évocation des années Gainsbarre, mais ceci s’explique par le besoin qu’a semble-t-il ressenti Sfar de boucler la boucle. Le film s’ouvre sur l’enfance du petit Lucien Ginsburg, forcé de porter l’étoile jaune dans un Paris occupé et aux murs remplis d’affiches antisémites, et se ferme sur le rachat par Serge Gainsbourg du manuscrit de La Marseillaise, chant révolutionnaire auquel il dit avoir rendu son sens initial. Du gosse juif rejeté et indésirable à la star cabotine s’offrant avec l’argent de sa musique un symbole que l’extrême-droite aurait aimé faire sien, la trajectoire de l’artiste tient d’une forme de revanche ou tout du moins d’un énorme pied de nez. Il ne s’agit que d’une façon d’envisager son parcours, portée par une oeuvre cinématographique aussi audacieuse qu’imparfaite et qui refuse humblement de se poser en référence. Il s’agit non du film définitif sur Gainsbourg, mais d’un film possible sur une figure difficilement cernable. Il en en existe sans doute des centaines d’autres.

  

Bande-annonce du film :

 

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