GLASTONBURY

Boue, musique et désordre

Film de Julian Temple ; BBC 2006

Le nom de Julien Temple dit forcément quelque chose aux lecteurs aussi fidèles qu’érudits de la présente gazette musicale que si ça continue on va en causer dans les salons où qu’on cause. Très proche de la mouvance punk dans les années 70, le réalisateur britannique s’est intéressé au phénomène Sex Pistols (The Great Rock ‘n’ Roll Swindle en 1979, The Filth and the Fury en 2000) et signé le très recommandable Joe Strummer: the Future is Unwritten après la disparition du leader des Clash. Il fut également un proche collaborateur des Kinks, pour lesquels il tourna plusieurs vidéos (sa biographie de Ray Davies, Imaginary man, fut diffusée par la BBC en 2010) et de David Bowie, avec qui il travailla sur le tournage de Absolute Beginners. Vous l’aurez compris, le gazier a un CV long comme le bras et dispose d’un carnet d’adresses plus fourni que ceux de Massimo Gargia et Michel Denisot réunis. Aussi, personne ne fut surpris de voir Temple s’attaquer à un monument de la scène musicale anglaise, j’ai nommé le festival de Glastonbury, créé en 1970 par le fermier Michael Eavis et peu à peu devenu un incontournable rendez-vous annuel. Il suffit de jeter un œil à la liste des artistes qui ont honoré le lieu de leur présence pour se rendre compte de la dimension de l’événement: Bowie, les Smiths, Hawkwind, Van Morrison, Lou Reed, Blur, Oasis, Pulp, Dylan, Radiohead, les White Stripes, the Coral, Arctic Monkeys, Leonard Cohen…N’en jetez plus, la scène est pleine.

Autant le dire tout net, comme dit le père Georges à tonton Nestor: si votre humble serviteur s’est farci jusqu’au bout les 135 minutes de Glastonbury, ce ne fut que par une forme d’honnêteté intellectuelle qui m’interdit de juger un film sur sa première demie-heure (je ne peux m’empêcher de penser à l’excellent Rien sur Robert de Pascal Bonitzer, dans lequel un Luchini ahuri se voit sans cesse reprocher d’avoir dézingué un film croate sans l’avoir vu). Pour aborder l’histoire d’une telle institution, il aurait fallu trouver (chercher, déjà) un angle, rester fidèle à une certaine approche, quitte à ne pas tout pouvoir montrer. C’est à la tentation de l’exhaustivité que cède Temple : au bout du compte, son documentaire s’apparente à un clip géant, une simple et mécanique accumulation d’images et d’extraits de concerts, une suite interminable de mini-séquences aussi assommante que les basses ronflantes de la techno-parade. On reproche parfois aux documentaires, musicaux ou non, de présenter un format trop rigide et d’alterner de manière simpliste commentaires, interviews et archives, mais entre l’absence d’imagination et l’absence de forme, il doit exister un juste milieu. L’incohérence ne saurait se voir érigée en principe esthétique et considérée comme forcément plus digne d’éloges qu’une construction classique.

Le film en fait des caisses sur le côté mystico-new age à la mords-moi le didgeridoo (ceci soit dit sans forfanterie aucune), insistant lourdement sur la parenté avec Woodstock (créé un an auparavant dans des circonstances similaires) et la charge symbolique du lieu. Il faut dire que l’endroit regorge de références religieuses et légendaires que ne manque pas d’énumérer le commentaire: Glastonbury passe pour avoir été l’île d’Avalon dans le celtisme antique, le Graal est censé y être enterré, Jésus lui-même y serait venu en compagnie de Joseph d’Arimathie avant d’être consacré superstar et Stonehenge n’est qu’à quelques kilomètres. Comme disait le directeur du Louvre aux visiteurs quand la Joconde se fit voler, vous imaginez le tableau: une ode à « l’épicentre de l’esprit d’Albion » sur fond de couchers de soleil de papier peint et rythmée par les djembés désobligeants d’hirsutes énergumènes s’agitant sottement dans le crépuscule. Dommage que Temple soit tombé dans ce panneau (en même temps, avec un nom pareil hein) et n’ait guère mis plus en avant l’aspect carnavalesque et l’excentricité toute britannique du festival.

Ne subsistent du visionnage de la chose que quelques trop rares moments de grâce: Ray Davies qui chante « Waterloo Sunset » en bottes de caoutchouc devant une foule détrempée, la hargne de Strummer qui s’en prend à Big Brother à grands coups de pied de micro dans les caméras ou encore la version survoltée de « Common people » par Pulp. Le deuxième DVD propose de courtes interviews de John Peel et Noel Gallagher, qui se plaint avec l’élégance langagière qui le caractérise de ne croiser que des indésirables en coulisses (« every fucking wanker from London you try to avoid the rest of the time ») et d’avoir mis trois quarts d’heure à trouver un sandwich, ainsi que des performances live signées McCartney, Radiohead, Kaiser Chiefs, Nick Cave et White Stripes, que tout à chacun peut déguster à son aise sur le net. Malgré les promesses du slogan sur la jaquette (« the mud, the music, the mayhem », traduisez « la boue, la musique, le désordre »), on retient malheureusement surtout le désordre.

 

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