RUBBLE Vol. 2 – Pop-Sike Pipe-Dreams

Lollipop Minds

Rubble : moellons, décombres, rocailles – curieuse enseigne pour une anthologie qui fait la part belle aux soieries et songeries. Or, c’est bien ce dont il est question dans ce deuxième épisode.

Pop-Sike Pipe-Dreams ! Ce titre si sonnant annonce visions décevantes, pacotilles interstellaires, basculements de dimensions. Encore une de ces pochettes troublantes – qu’est-ce que ce félin mafflu aux grandes mirettes carrolliennes ? Mais cette fille dans l’angle aux yeux de fougère vague ? Quel secret taisent-ils ? Ces regards jumeaux, oracles évanescents, ne nous prêtent guère attention. Eux, déjà de l’autre côté du monde. Il est temps d’approcher.

Si le Tourbillon Psych du volume 1 nous avait laissés sur les genoux, Pop-Sike Pipe-Dreams bascule du côté pop éthérée. Wimple Winch mène à nouveau la danse et donne le ton : « Marmelade Hair », pertinente sucrerie, augure une conversion. Même s’il est permis de le préférer dans ses moments sauvages, le groupe confirme ici son rôle, fier d’afficher ce qui manque au tout-venant des combos garage, à savoir un son propre, une patte unique. Deux autres titres qui jouent aux envols de papillons, « Bluebell Woods », « Lollipop Minds » (joli mot d’ordre), parachèvent leur Grand Œuvre, colliers en forme de singulières chansonnettes suraigües et douceâtres délices guimauve.

Un grand événement toutefois marque ce deuxième Rubble : l’entrée en scène des Pretty Things. Inutile de revenir sur le rôle de ceux que nombre d’entre nous considèrent comme le cinquième groupe anglais, mais surtout les plus grands perdants du rock’n’roll. Morveux plus dépeignés que les Rolling Stones, engeances de petites teignes à l’égal des Who, mordants, tristes ou narquois comme des Kinks élevés sous la férule sévère de Bo Diddley, ils frôlaient même à l’occasion la grâce des Beatles (Emotions). S’ils ont manqué tous les relais, ils ont écrit des pages inoubliables, distanciant souvent la concurrence. Nul hymne garage ne tient face à « Rosalyn » ou « Midnight to six man » ; S-F Sorrow devance et ridiculise Tommy.

Rubble répare les outrages de l’histoire. Il fallait rendre leur trône à ces mendiants disgracieux. Entre tous, leur immense ep Defecting Grey renferme peut-être le quintessentiel témoignage de l’Angleterre psyché. Voyage cosmique à lui seul, l’inépuisable morceau éponyme condense en effet une époque : collage quasi-dadaïste de faux couplets naïfs et de breaks destructeurs – chœurs célestes pour ballade boiteuse (avec ses vocaux liquides arrosés de gouttelettes de basse), ou encore valse beat aux relents de sitar, voire partition pour piano mécanique halluciné et ronde d’automates sous hypnose… Bidouillages sonores, crashes d’astronefs-serpents sur fond de surgissements rythmiques, ce titre justifie l’acquisition du disque. « Walking through my dreams », plus irisé mais lui aussi très essentiel, mordore des spirales ondoyantes et nous projette très loin, au plus loin à travers le silence chatoyant des sublimes espaces infinis.

Le disque dans l’ensemble est pop – ce n’est pas là offense. Ce n’est pas à dire non plus que le garage-punker assoiffé de sang ne trouvera pas pitance dans Pop-Sike Pipe-Dreams… En effet, auteurs du titre d’ouverture, les excentriques The Mode firent en leur temps fuir Decca. À l’écoute de la frénétique fanfare d’une « Eastern Music » survoltée aux accompagnements exotiques, on conçoit l’effroi du label. Autre freakerie haletante, « You break my heart » de Talismen, tout en syncopes, fuzz affranchies, bousculades de tambour. A la retombée du refrain, le chanteur hurle comme un exact Alice Cooper, déjà ! Acoustique et rêche, long, louche et tors, « Sweet love » (Sons of Fred), triture un orgue lointain et prenant, pour éveiller les accents de certains Animals. Enfin, l’instru, floorkiller comme on dit, du Shotgun Express nous rappelle que l’on évolue non loin de l’époque bénie de Booker T. et Brian Auger : la musique ? Elle n’est rien sinon danse.

Mais place, donc : pop et grâce. Nous parlons de la somptueuse ballade méditative « World Spinnig Sadly », soutenue par l’extase frileuse du piano et les susurrements plaintifs de The Parking Lot, idéale pour rêver sur le balcon par le gris crépuscule en compagnie d’une châtelaine pâlie entourée de lévriers phosphorescents. Gordon Waller, lui, ordonne une pompeuse procession en majesté. Mais cette pop sait aussi se faire ludique, quand The Executive déhanche ses cuivres sur le sautillant « Tracy took a trip ». Que les géniaux pince-sans-rire des élégantissimes Idle Race fassent défiler des colonnes cocasses de majorettes malades, et nous voici soudain en plein territoire carrollien-situationniste. Inimitablement anglais aussi, les Bo Street Runners ou les fameux Spencer Davis Group (sans Winwood, mais avec sitar) rivalisent d’enjouement contemplatif.

Le meilleur de ces morceaux est interprété par Keith West, chanteur des importants  Tomorrow. « Kid was a killer » est une somptueuse envolée orchestrale, tourbillonnante d’héroïco-lyrisme au timbre habité – on se prend à rêver au magistral teenage-opéra-concept que Mark Wirtz ambitionnait d’enregistrer sur cette lancée…

Volume majeur de la série, Pop-Sike Pipe-Dreams, tout comme son prédécesseur Psychedelic-Snarl, ne connaît pas un moment de faiblesse. Moins ahurissant, mais de parfaite tenue, très anglais, il se distingue par une tonalité d’ensemble (certes traversée par de belles fulgurations) beaucoup plus légère, translucide, radieuse, qui porte à l’insouciance, invite à la danse et aux vins, dans la compagnie d’une poignée d’amis choisis. Mélancolique douceur des jours précieux de passer dans l’inconscience. On pleure ou on s’amuse, le ciel veille sur nous.

Le troisième volume va tout remettre en cause. Nightmares in Wonderland.

 

 

Tracklisting : 

1. The Mode: Eastern Music
2. Wimple Winch: Marmalade Hair *
3. The Parking Lot:  World Spinning Sadly
4. The Pretty Things: Defecting Grey *
5. Keith West: Kid Was A Killer *
6. Shotgun Express: Indian Thing
7. The Executive:  Tracy Took A Trip
8. Wimple Winch: Lollipop Minds
9. The Talismen: You Break My Heart *
10. The Pretty Things: Walking Through My Dreams *
11. Bo Street Runners: Love
12. Sons of Fred: Sweet Love *
13. Wimple Winch: Bluebell Wood
14. Idle Race: Knocking Nails Into My House
15. Spencer Davis Group: After Tea
16. Gordon Waller: Rosecrans Boulevard

 

Vidéos : 

The Pretty Things – Defecting Grey

 
Sons Of Fred – Sweet Love
 
 
Keith West – Kid Was A Killer
 

 

Vinyle :

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