RUBBLE Vol. 7 – Pictures In The Sky

Kaléidoscope sixties intégral

Une vieille théorie, que se refilent de générations en générations boucaniers râblés blanchis sous le harnais, et autres auto-stoppeurs californiens de toutes sortes, stipule qu’un grand disque de rock’n’roll doit changer votre vie.

Si ces légendes disent vrai, il faudrait admettre que ce septième volume, Pictures In The Sky, ne relève ni de la catégorie des grands disques, ni même à vrai dire des disques rock’n’roll. Passera-t-on pour autant son chemin, le nez haut et la larme lourde, à l’idée qu’en ce monde, même Rubble connaît décrépitude et déchéance ?

Une oreille distraite risquerait la déconvenue : il convient de ne pas s’arrêter à une première impression décevante. En effet, jusqu’ici, chaque volume de notre série fétiche affichait une belle cohérence thématique, sonore, historique ; à tout le moins, une certaine unité d’atmosphère. Le premier nous avait abasourdi par son freakbeat abrasif, le deuxième au rythme enlevé reflétait parfois des mirages pop plus fantaisistes ; Nightmares In Wonderland , disque-univers, déployait les sombres fastes du psyché carrollien, mais 49th Hour Technicolor Dream chatoyait de psych-pop ouvragée ; le cinquième Rubble, sans doute le plus homogène, tapait dans le beat-mod résolu, et le sixième se perdait à peu près dans les langueurs de mélodies plus doucereuses. Mais l’organisation de Pictures In The Sky diffère quelque peu ; on n’exagèrerait pas trop en conjecturant que ses concepteurs se seraient offert, à l’image du Tout-Puissant, un repos du septième jour.

Ces enregistrements du label Pye couvrent un chapitre entier de la grande histoire anglaise : de 1963 pour le plus ancien (Erky Grant & The Earwigs, avatar de twist potache mais dansant), jusqu’à 1969, agonie du british rythm’n’beat’n’blues dans les reflets cuivrés aux menaçantes pesanteurs de l’aurore heavy-psych (Velvet Fogg) : impressionnant défilé, panoplie sans doute excessive. En somme, selon les sensibilités et l’humeur, on parlera avec indulgence d’un intéressant aperçu de l’évolution musicale accélérée en cette folle décennie ; les mauvais jours, on ne se défera pas de l’impression désagréable d’une juxtaposition hâtive de morceaux piochés dans les tiroirs du label en question. Volume donc  kaléidoscopique pour le moins ; pour ne pas dire un joyeux bazar.

Une remise en ordre chronologique clarifierait l’affaire. Revenons à l’aube des temps, ainsi, à l’époque de la Création, du grand Tohu-Bohu ; balbutiements du Merseybeat et fin d’une époque ludique et idiote : nous parlions de 1963. Les candides inconnus Erky Grant & The Earwigs, sobriquet peu adapté à la gloire, nous feront danser de bon cœur quelques instants. On se ballade un peu plus longtemps dans les clubs, de 1964 à 1965. Le riff entêtant du bien nommé « Jump and Dance » (Carnaby, encore un nom de circonstance) accroche sans peine, tandis que les patibulaires Primitives éveillent en nous des instincts primaux d’une intensité néanderthalienne, enfin ! Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas subi une telle décharge d’adrénaline. Pile à l’intersection des Pretty Thing et des Sorrows : « You Said » ; plus fort que ça, qu’est-ce qu’on pourrait citer ? « Crawdaddy Simone », rien d’autre. Une sorte de gnome bravache et crapoteux lance ses imprécations sous l’effondrement d’un riff comme un tonnerre le long d’une falaise de titane, avant l’accélération d’un refrain littéralement frénétique, qui laisse l’auditeur pantelant – la musique la plus violente jamais enregistrée, c’est le beat de 64. Un tel titre réduirait n’importe quel colosse viking féru de brutal grind ou de mathcore-drone-metal à l’état de petite masse verte gélatineuse et tremblotante terrée dans un coin. Déconseillé aux cardiaques.

Beaucoup de pop estampillée 1966-67 au programme. Malheureusement, à ce propos, une tolérance regrettable des derniers Rubble à l’anecdotique semble se confirmer. Le remplissage au moyen d’une reprise anodine (The Epics) vire au rituel agaçant depuis The Electric Crayon Set, sans parler des ballades inoffensives (Factotum). Plus intéressant, la première version d’un morceau rendu célèbre (toutes proportions gardées…) par les baroqueux de Sagittarius : le touchant « My World Fell Down », dans une version moins marquée par les Beach Boys, fait la part belle aux cordes. Tolérables, Glass Menagerie, autres inconnus notoires, interprètent en mode soul empathique un morceau pas vraiment majeur de Loovin’ Spoonful. Passons aux choses sérieuses : qui tire son épingle du jeu ? Les groups mods d’abord, nets et léchés, lorgnant vers l’avenir: en 1966, Koobas ou, plus tardifs, The Onyx. Enfin, le psyché, dans le meilleur style 1967-68, reprend le dessus. La ballade d’ouverture, qui a mérité de donner son titre au disque, s’impose sa mélodie marquante et un magnifique son de guitare, onirique, tourbillonnant et moiré : The Orange Seaweed a taillé là bel ouvrage de joaillerie, qui aurait dû lui valoir plus grande notoriété. L’autre moment fort est le « Real Life Permenent Dream », des non moins ignorés Orange Machine, au niveau, faramineux, du « Red Sky At Night » de The Accent dans The Clouds Have Groovy Faces : perfection astrale, fuligineuse et puissante de psychédélisme coloré.

Le voyage dans le temps s’achève en 1969 (déjà évoqués, Factotums, The Onyx). Le dispositif pop anachronique de The Flying Machine décolle encore avec assez d’entrain, tandis que New Formula parodie la gentille mystique du Sergent Poivre et de Hair en une kermesse amusante, « Harekrishna » ; on sent qu’approche la fin des rêves naïfs. La décennie suivante est annoncée par les singuliers olibrius de l’éphémère Velvett Fogg (où, pour la petite histoire, Tony Iommi a officié environ dix minutes) : la carillonnante féérie nocturne du couplet est interrompue par le sursaut d’un orgue doorsien entrelacé de tranchants éclats de guitares. « Within The Night », joyeusement cliché, est un titre plus réussi que l’ordinaire de leur unique album de heavy planant tolkiéniste. Fin du parcours.

Pour essayer d’y voir plus clair, Pictures In The Sky suit deux tendances globales, entre quelques accès de violence et de brèves récréations semi-parodiques. D’un côté, une satisfaisante moisson mod-psych – les morceaux les plus efficaces. De l’autre, plus contestables car souvent moins achevées, les ballades. La première face, nette et bien frappée, maintient pourtant l’intérêt ; c’est ensuite que les choses se gâtent un peu, la deuxième partie de la compilation n’offre plus assez de bons titres pour compenser l’impression de disparate et d’éparpillement. Le problème, au fond, c’est l’absence de groupes au calibre puissant ; indubitablement, le label Pye manquait de gros clients. Il suffit de recenser les individus ici à l’honneur : Primitives, Koobas et Onyx – on ne dépasse pas le bataillon des seconds couteaux.

Si vous recherchiez un disque aux vertus mystiques propres à vous flanquer la varicelle, à faire pleuvoir des grenouilles en plein hiver, voire à vous donner la pétulance d’enchaîner les cocktails d’huile de ricin et de pétrole avant de danser le madison avec votre belle-mère sur les jardins suspendus de la pyramide de Khéops, redescendez sur terre, Pictures In The Sky ne répondra pas à ces besoins. Tant pis. En revanche, si vous quêtez une poignée de bons morceaux, il vaut la peine de le repasser sur la platine plus d’une fois ou deux.  

Après quatre disques indispensables, Rubble a connu une étape intermédiaire, de The Electric Crayon Set, à cette septième livraison. La série a atteint sa maturité, toujours solide, peut-être moins régulièrement excitante. Tout cela est bien joli, diront les psych-freak qui tournent en rond comme fauves encagés ; ne les entend-on pas ronchonner ? Oui, ils réclament, ces maniaques impénitents, leur dose d’hystérie ; il serait temps de repasser à une vitesse supérieure. Hauts les cœurs : ces vœux ne devraient pas tarder à se voir comblés.

 

 

Tracklisting : 

1. The Orange Seaweed – Pictures In The Sky *
2. The Glass Menagerie – You Didn’t Have To Be So Nice
3. Orange Machine – Real Life Permenant Dream *
4. Carnaby – Jump and Dance
5. New Formula – Harekrishna
6. The Onyx – So Sad Inside
7. The Flying Machine – The Flying Machine
8. The Primitives – You Said *
9. The Onyx – You Gotta Be With Me *
10. The Ivy League – My World Fell Down
11. The Epics – Blue Turns To Grey
12. Factotums – Cloudy
13. Koobas – Better Make Up Your Mind *
14. Erky Grant & The Earwigs – I’m A Hog For You
15. The Primitives – Help Me
16. Velvett Fogg – Within The Night

 

Vidéos :

Orange Machine : “Real Life Permanent Dream”

 
The Primitives: “You Said”
 
 
The Onyx: “You Gotta be with me”
 
 
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