Film de Richard Ayoade (2010)
A l’heure où les masses aussi opprimées que cinéphobes se pressent dans les salles obscures pour se voir octroyées leur quota de bons sentiments dégoulinants et de clichés rassurants, il est fort regrettable de constater qu’un petit bijou tel que Submarine n’a pas bénéficié de la résonance qu’il mérite. Le jour où le grand public se déplacera pour ce genre de film, on pourra dire que la démocratie aura réglé une grande partie de ses problèmes. Mais rassurons-nous, nous autres véritables esthètes et seuls détenteurs de la vérité et du bon goût, la dictature de la majorité et le règne du cinéma qui assène ses messages à grands coups de postures outrancières et de formules lapidaires dureront probablement aussi longtemps que ce bas-monde, c’est-à-dire pas longtemps, fort heureusement. Quand on voit que Télérama, volontiers qualifié de publication vaguement intello pour électeurs hollandistes et auditeurs de radios publiques, n’a même pas inclus Submarine dans sa liste parmi laquelle les lecteurs doivent choisir leur dix coups de cœur de l’année, on se dit, pour paraphraser un illustre orateur de la cinquième république, que la route est droite mais la pente rude. Il ne faudrait guère beaucoup nous pousser (doucement quand même) pour que nous décernions à l’œuvre de Richard Ayoade, merveille d’originalité et de finesse dans un océan de platitudes uniformes et de concepts formatés, la distinction fort courue de Film PlanetGong 2011.
Oliver Tate n’est pas un adolescent comme les autres. Il lit Nietzsche et Shakespeare, se prend de passion pour L’attrape-coeurs de Salinger, aime laisser son regard se perdre dans la mer et donner libre cours à son spleen, les mains enfouies dans les poches de son duffle-coat. Sous la pluie immuable qui tombe sur sa ville de Swansea, il contemple le mouvement incessant des vagues et songe à ses parents, dont le couple s’enfonce dans l’ennui et le silence. Son père, fantôme barbu et squelettique, qui passe ses journées enveloppé dans un pathétique chandail, n’en finit plus de sombrer dans la dépression, en bon biologiste marin, ni de fixer le fond de sa tasse d’un œil vide. Sa mère, qui se rêvait actrice et doit se contenter d’un travail d’employée de bureau, trouve refuge dans une nostalgie bon marché et ressent une irrésistible attirance pour Graham, ridicule vendeur à meulette de boniments mystico-new age qui fut son amour de jeunesse. Oliver décide de tenter de rapprocher ses parents par tous les moyens possibles, malgré l’incompréhension qu’ils lui témoignent, et d’éloigner la menace Graham.
Avec Jordana, qui refuse obstinément l’appellation de « petite amie », les choses ne sont guère plus simples. Il faut dire qu’elle non plus n’est pas comme les autres : elle aime les paysages industriels, l’eczéma sur son cou, les allumettes longues et les clichés Polaroid. La romance compliquée de ces deux originaux à la fois trop mûrs et paumés est filmée avec une justesse qui confine au miracle et une sensibilité profonde qui ne verse jamais dans la condescendance. Leur relation est empreinte d’une gravité précoce, un trouble existentiel, une intensité mélancolique qui font de ce film davantage qu’une énième plongée dans les méandres de la psyché adolescente. Ces jeunes gens fragiles et tellement peu sûrs de leurs propres sentiments se trouvent confrontés à des problèmes et des questions qui transcendent la notion d’âge et suscitent une empathie universelle: la séparation, l’amour, la maladie, la mort. Malgré tout, Submarine reste une comédie truffée de répliques décalées à souhait, de situations aberrantes et de trouvailles plus réjouissantes les unes que les autres. Doux-amer, parfois cruel, souvent drôle, le film marche sur un film ténu et cultive avec élégance le sens de l’entre-deux.
Ode cinématographique aux contrées sans soleil, Submarine regorge d’une britannicité et d’une tendresse touchante pour les mornes décors urbains du Pays de Galles, les murs de brique rouge, les cheminées d’usines dont la fumée se confond avec les nuages, les laids uniformes des lycéens. La sublime bande originale signée Alex Turner colle aux images et participe d’une atmosphère très contemplative qui parvient à arracher le récit à tout repère chronologique pour l’installer dans une sorte de grâce atemporelle, un rythme hypnotique. Belles à pleurer, les ballades élégiaques du chanteur des Arctic Monkeys semblent, comme l’ensemble du film, tombées du ciel, inspirées par un ailleurs secret et inaccessible au commun des mortels, soufflées à l’oreille de l’artiste par une quelconque muse venue du pays des brumes, ou peut-être, qui sait, une divinité des profondeurs. Après un tel moment de pur enchantement et devant un tel concentré de poésie, de sincérité et de virtuosité, il vient aux lèvres du spectateur forcément ému comme une envie de dire merci.
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