THE BEATLES – Let It Be… Naked

Version définitive

(Apple 2003)

La vague de remasterisations de 2009 a apporté un sang neuf formidable au répertoire des Beatles mais n’a pu masquer une réalité que tout le monde s’accorde à penser : Let It Be, gros son ou non, est un album à moitié raté. La production y est assurée par Phil Spector, qui a sauvé comme il a pu des bandes studio et live laissées en vrac par les Beatles, alors en plein divorce. Afin de trouver un fil directeur à l’ensemble, le producteur mythique s’est appuyé sur le concert donné sur le toit des bureaux d’Apple par les Fab Four et a tenté d’en reproduire l’ambiance en gardant quelques extraits audio. Le disque était, rappelons-le, censé représenter la face audio du film documentaire Let It Be.

L’album original, sorti en 1970, souffre de son manque de cohérence. Bouts de dialogue de ci de là, morceaux incomplets (notamment l’inutile “Dig It”), ordre des morceaux étrange (avec la dynamique “Get Back” placée à la fin uniquement parce que John Lennon a ponctué le morceau d’un “Thank you ladies and gentlemen, I hope we have passed the audition” lors de l’enregistrement du morceau sur le toit).

Evidemment, ce qui reste le plus décrié de nos jours (par Paul McCartney en particulier), c’est la production de Phil Spector. John Lennon lui avait refilé les bandes à l’insu du groupe, ce qui avait sérieusement faché Paul, horrifié du traitement réservé à ses morceaux, notamment “The Long And Winding Road” augmenté de violons dégoulinants et transformé en ballade easy listening digne de Frank Sinatra.

C’est pour cette raison qu’est sorti en 2003 ce Let It Be… Naked dans lequel Paul McCartney a pu exprimer sa version de l’album. Des ingénieurs d’EMI ont exhumé les bandes originales de l’album, choisi les meilleures prises de chaque morceau (bien souvent différentes de celles de Spector) et produit un album censément débarrassé de ses défauts. L’accueil de la presse (et de la critique en général) fut assez froid. Si tout le monde s’accorde à dire que l’album est excellent, beaucoup se posent la question de l’utilité du projet (d’autant qu’une version de “The Long And Winding Road” sans violons existait déjà sur l’Anthology 3).

La sortie des Remasters en 2009 nous a permis de nous replonger dans l’écoutez assidue des albums des Beatles et d’affirmer ce qui nombre d’esthètes considèrent comme une hérésie : Let It Be… Naked est la meilleure façon d’écouter les morceaux de Let It Be aujourd’hui. L’album est construit de façon intelligente : il ouvre sur “Get Back” – idéal pour lancer un album – et s’achève sur “Let It Be”, parfait en conclusion. Entre ces deux morceaux emblématiques, la production épurée rappelle qu’à l’origine Let It Be devait être un album enregistré live en studio. En 1969, le monde du rock retrouvait ses racines blues (un mouvement que les Beatles avaient contribué à populariser avec l’album blanc), et les Beatles en avaient fini avec les expérimentations sonores. Ils voulaient un album brut, rock’n’roll, et c’est précisément ce que propose Let It Be… Naked. On entend un groupe blues-rock (augmenté d’un clavier sur quelques morceaux) dans toute sa splendeur organique, débarrassé de tout artifice.

Les Beatles envoient quelques rocks bien sentis (la cavalière “Get Back” et sa rythmique boogie, “One After 909” digne de Creedence Clearwater Revival), des blues à la pelle (“Dig A Pony” et “I’ve Got A Feeling”, grandioses, qui prouvent que Lennon et McCartney avaient une profonde connaissance du blues, sans parler de “Don’t Let Me Down” qu’on est étonné mais heureux de retrouver ici dans une sublime version à deux voix), des ballades country-folk (“For You Blue” et son banjo, “Two Of Us” digne des Everly Brothers, l’acoustique “Across The Universe”, un bijou) et deux morceaux larmoyants de Paul McCartney au piano (“Let It Be” et “The Long And Winding Road”, dans une version au son évoquant les premiers albums solo de Macca).

Si tout au long de l’album on ne retrouve pas le souffle et le bonheur intégral du reste de la production des Beatles, il va de soi que la version “nue” est meilleure que l’originale en termes de son. Let It Be… Naked est cohérent en tant qu’album et propose une vision inédite des Beatles en fin de carrière, celle d’un groupe capable de jouer ensemble sur 11 morceaux impeccables. Bien sûr, on sait dans quelles conditions ils ont été enregistrés (dans les froids studios de Twickenham dans une ambiance délétère), on se doute aussi que l’informatique a gommé nombre de défauts des masters originaux, mais le résultat n’en est pas moins probant. Une écoute successive des deux versions de Let It Be est équivoque. Entendre John chanter “Across The Univers” seul à la guitare est magique (les chœurs façon Walt Disney ont disparu au profit d’un parterre de sitar), “One After 909” se révèle enfin dans toute son authenticité rock’n’roll, l’album est sobre, direct.

Bien sûr, Let It Be est un des albums les plus faibles des Beatles en termes de chansons. Ceux qui ne jurent que par la période 68-70 d’Harrison n’ont pas souvent dû écouter “For You Blue” en entier, “The Long And Winding Road” montre McCartney au sommet de sa mièvrerie chez les Beatles (ce morceau est impossible à sauver[i]), quelques morceaux sont agréables mais ne dépassent pas l’anecdotique (“Two Of Us” par exemple) et l’album se révèle assez pauvre pour les amateurs de mélodies pop faciles à siffloter. Let It Be… Naked est album de blues-rock composé et chanté par un groupe pop. Pour l’apprécier, il faut avoir envie d’entendre les Beatles jouer du blues, avoir envie d’entendre le plus grand groupe de tous les temps dans le dur, en pleine explosion. A l’inverse de tous les albums des Beatles, il n’y a aucune joie, aucun bonheur qui transparaît de Let It BeNaked. C’est pour ça qu’on l’aime.

 

 

Tracklisting :

  1. Get Back *
  2. Dig a Pony *
  3. For You Blue
  4. The Long and Winding Road
  5. Two of Us
  6. I’ve Got a Feeling
  7. One After 909 *
  8. Don’t Let Me Down *
  9. I Me Mine
  10. Across the Universe *
  11. Let It Be *

 


[i] Il ne dure que 3’30” mais paraît interminable. “The Long And Winding Song” eut été un titre plus approprié.

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Etienne
Invité
Etienne
26 novembre 2009 1 h 17 min

A propos de The Long And Winding Road, il y a un truc qui m’echappe. Paul peste à propos des violons de Spector… Mais alors pourquoi les fait ils rejouer au synthetiseur lors de ces concerts ????
Certes ils sont plus discret mais pas absent comme Let It Be … Naked

Etienne
Invité
Etienne
27 novembre 2009 5 h 45 min

Oh de temps en temps il se permet des folies comme Something au Ukulele en hommage à George ou sur I’ve Got A Feeling il finit souvent sur une reprise de Foxy Lady.
De même la ligne de basse du final de Hey Jude que son bassiste joue en concert est beaucoup plus funky que la ligne de basse d’origine. Et ce qui est assez drole, c’est qu’à l’occasion du projet
Love, le fils Martin a decouvert que Macca a joué cette même ligne de basse pendant les enregistrement de Hey Jude. Le fils Martin en a parle à Paul. Et Paul ne s’en souvenait même pas!!! Il est
donc impossible que ce soit Paul qui ait montre cette ligne de basse à son bassiste…

Etienne
Invité
Etienne
27 novembre 2009 6 h 11 min

Pour Something Ukulele, il le joue encore… D’ailleurs sur le dernier live Good Evening New York City, il y est.

Antoine DB
Invité
Antoine DB
16 décembre 2009 5 h 25 min

Un vrai blizzard cet album, mais il y a across the universe, et la c’est magique… quelles que soient les versions : let it be, naked ou anthology les frissons sont toujours la..

Boeb'is
Invité
29 janvier 2010 8 h 36 min

Chronique très sympa, et bien documentée.

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