BABYSHAMBLES – Down in Albion

Démos

(Rough Trade 2005)

Vous souvenez-vous de l’ouverture du premier album des Libertines? Le riff entêtant de “Vertigo” ouvre l’album en fanfare et scotche l’auditeur sur son siège. La tension et le tempo ne tombent jamais jusqu’à la dernière note d’ “I Get Along” –  hormis pendant les trois minutes de “Radio America”, ballade bancale chantée dans un souffle par un Pete Doherty saoul ou défoncé, ou les deux.

On espérait du premier Babyshambles un choc équivalent à celui reçu en 2002, comme un junkie recherche toujours la sensation éprouvée lors de son premier shoot. Down In Albion contient malheureusement beaucoup trop de moments de flottement à la “Radio America” et peu de fulgurances punk, de ces moments d’épiphanie où le génie de Doherty met à genoux.

On se souvient aussi de la légère déception éprouvée l’an dernier à la sortie de The Libertines, album qui voyait le quatuor londonien passer de Please Please Me à Let It Be en moins de deux ans, aux paroles certes déchirantes mais au tempo de salon de thé. Bien sûr, on connaissait quasiment tous les morceaux depuis que Doherty, de dépit après sa première éviction du groupe, avait balancé les fameuses Babyshambles Sessions sur le net. Les versions album ne furent par ailleurs pas toutes meilleures ou foncièrement différentes que ces démos originelles…

A l’opposé, les premiers singles de son nouveau projet – l’éponyme “Babyshambles”, le hit “Killamangiro” et la sublime face B “The Man Who Came To Stay” – mariaient énergie punk et flamboyance romantique, recréant l’émoi des premiers jours. De ces morceaux issus des sessions, transfigurés par un groupe brillant et énervé, naquit en nous le fantasme d’un album extraordinaire; car Pete en avait des dizaines de meilleurs sous le coude, et on le savait.

Quasiment un an après la sortie de “Killamangiro” en single, nos espoirs se sont envolés au profit d’un sentiment de gâchis et de ras-le-bol. Down In Albion reproduit les sensations que provocait en nous The Libertines. Où est passée l’énergie punk? Dans un brouillard de drogues sans aucun doute.

Les effarants documentaires diffusés par la télévision britannique – Stalking Pete Doherty et Who The Fuck Is Pete Doherty? (par ailleurs téléchargeables sur www.andrewkendall.com) – témoignent que l’entourage du chanteur encourage celui-ci dans une autosatisfaction aveuglée et vers une déchéance  insensée. Pete Doherty n’a plus aucun recul critique sur sa musique ces jours-ci. Comment expliquer autrement l’incroyable gâchis que constituent la plupart des morceaux de l’album? Comment peut-on sérieusement penser que l’enregistrement d’un morceau, ivre à 4h du matin, puisse être bon? Autodestruction. Le mot revient souvent lorsqu’on parle de Doherty. L’entendre saccager ses propres chansons, son Art, par négligence, trop éberlué pour réagir, est une épreuve encore plus insoutenable que de le voir tomber de scène de sommeil, pleurant car tétanisé par un énième fix.

On s’est senti écrasé d’admiration et de dévotion la première fois qu’on a entendu “Blackboy Lane”, “In Love With A Feeling”, “Albion”, “Merry Go Round”, “East Of Eden”… autant de chansons interprétées de façon discutable sur le récent single et l’album de Babyshambles. “Blackboy Lane” était méconnaissable en face B de “Fuck Forever”, “In Love With A Feeling” et “Merry Go Round” sonnent moins travaillées que leur démos. A l’image de ce que Mick Jones avait fait pour “What Katie Did” et “Road To Ruin”, la production surchargée d'”Albion” n’arrive pas à saisir l’exacte essence de ce morceau magnifique. L’harmonica et l’ambiance portuaire et la mélodie sont noyés derrière un orgue formaté FM-ménagère de moins de cinquante ans. Doherty a écrit ce morceau à 16 ans, il sort officiellement dix ans après, certainement dans sa plus mauvaise version.

On pourra toujours dire qu’on s’attendait à cet aspect du disque depuis “Fuck Forever”, et à priori on ne savait quoi en penser. Up The Bracket est enregistré à l’arrache, extraordinaire. “Down In Albion” ne lui arrive pas à la cheville. Outre la déception de voir ces chansons perdre de leur puissance à cause du je-m’en-foutisme du groupe et le laisser-aller de Mick Jones, se pose un problème plus profond : les nouvelles chansons ne sont pas du calibre auquel on attendait le groupe, certaines étant même franchement mauvaises.

“What Katy Did Next” démontre, entre paroles niaiseuses – fait rare chez Doherty – et mélodie laborieuse, que Kate Moss n’est pas la meilleure des muses. On apprécie plus son chant – un souffle Birkinien – sur l’excellent morceau d’ouverture, “La Belle Et La Bête” dans laquelle les choses sont mises au point entre Pete et la gutter press qui se délecte des déboires amoureux et des dérapages de ces icône britanniques depuis près d’un an. Pete a décidé de donner sa version des faits et se met en scène – un art où il excelle, en témoignent les textes poignants de l’album The Libertines – sans concession (et oui il cite le mot “cocaine”, qu’y a -t-il de fascinant à cela?).

“A Rebours” et “Loyalty Song” sont des pop songs gentillettes, assez éloignées de l’idéal punk qu’on se faisait du groupe. “Up The Morning” a du mal à décoller. Le grand n’importe quoi est atteint avec “Pentonville”, ragga chanté par The General, protecteur de Doherty pendant son séjour à la prison du même nom. Le genre de chanson qu’on zappe à chaque écoute. Doherty a expliqué maintes fois que Down In Albion est un concept-album en trois actes (autobiographique semble-t-il au vu des textes). “Pentonville” est un chanson de remplissage comme on en trouve trop dans TommyThe Wall. Quand la narration, le concept, prend le pas sur la musique, le résultat s’en ressent souvent.

Pour en finir avec les aspects négatifs de l’album, on est obligé de parler des morceaux réchauffés par le groupe. Si on comprend que “Killamangiro” figure sur le disque, le choix de le réenregistrer dans un souci de cohérence sonique dessert ce morceau qui perd de son mordant. Quant à “Back From The Dead”, qu’on adore, une version quasi-identique existait déjà en face B de “For Lovers”, enregistrée avec Wolfman et l’indispensable Carlos Barât. (pour l’anecdote, la version Babyshambles contient des “Shoop, shoop, shoop delang, delang” en forme de clin d’œil à “What Katie Did”). Le fait que ces excellents morceaux figurent sur l’album les rend accessibles à un public plus large que la horde d’obsédés qui guettent la prochaine session à télécharger. Le disque n’en est que meilleur, certes, mais bon… où sont les nouveautés qui doivent nous surprendre et nous bouleverser?

“The 32nd Of December” réchauffe le cœur après un début d’album décevant – et, comme quoi tout est possible, s’avère mieux interprété que sur la plupart des versions pirates existant –, tout comme “Pipedown” qui estomaque après une intro peu avenante. Un des moments les plus intenses de l’album. Le reggae “Sticks And Stones” relance l’inévitable comparaison avec les Clash et demeure très agréable à l’écoute, le tempo relâché mettant en avant les paroles sombres et pleines de rancœur de Doherty adressées à ses ex-compères des Libertines (“they said I was as good as dead”, “your words oh they really hurt”, “don’t look back into the motherfucking sun”).

Le meilleur morceau de l’album est peut-être “8 Dead Boys” où Babyshambles se révèle un groupe brillant. Dommage que ce talent soit versatile car quand ces musiciens sont concernés par la musique qu’ils jouent, ils sont intouchables. Patrick Walden, au jeu plutôt erratique arrive même parfois à se montrer inventif et surprenant sur certains morceaux. Ce qui amène à la question : pourquoi Pete ne joue-t-il pas de guitare avec Babyshambles? N’est pas guitar hero qui veut et Walden semble léger. Sans aucun doute l’ajout d’une deuxième guitare aurait donné plus de dynamique et de punch au combo (qui rame sévère parfois).

Malgré tous les défauts que comporte cet album, on ne peut le considérer mauvais. On est surtout déçu parce qu’on aime trop Doherty pour n’exiger de lui que du génie pur. Trop de réchauffé pour trop peu de vraies nouveautés, trop de chansons (16 pour plus d’une heure de musique), trop de longueurs et de bruits de canettes de bière. L’album aurait gagné à être plus court et mieux produit. Les chansons sont indiscutablement bonnes, à quelques exceptions près mais auraient pu faire partie d’un des albums de la décennie. Constat simple : Down In Albion n’est même pas l’album de l’année.

On est un peu amer, à vrai dire on n’arrive pas à se convaincre que ce disque soit réellement l’album de Babyshambles tant on a l’impression d’entendre une de ces collections de démos qu’on trouve aisément sur le net. Certaines des chansons ici existent dans des versions plus poignantes, plus percutantes, sans avoir à lacher dix sacs qui iront alimenter l’addiction du junkie le plus célèbre de Grande-Bretagne. Down In Albion n’est pas représentatif du génie de Doherty mais propose par contre un témoignage honnête et sans concession de la vie de Pete Doherty en 2005; la bande-son des documentaires cités plus haut en quelque sorte.

L’avenir du groupe semble en tous cas plus incertain que jamais après l’annonce cette semaine de la sortie prochaine d’un album solo acoustique du chanteur. Nouvelle lubie ou retour à la raison? Tout fan des Libertines qui se respecte possède déjà des dizaines de sessions acoustiques (les indispensables Babyshambles, Acousticalullaby, Chicken ShackSailor sessions… pour les plus célèbres) et ne voit pas vraiment l’intérêt d’une telle démarche – sauf pour Doherty qui devrait empocher un gros paquet de fric pour quelque chose qu’il faisait gratuitement il y a peu. Au moins, Down In Albion présente l’avantage de montrer l’artiste et ses chansons sous un angle nouveau… Suffisant pour entendre la voix de la raison nous dire “il pas si mal quand même ce disque” et le remettre dans la platine.

 

 

Tracklisting : 

1. Belle et la Bête  *
2. Fuck Forever  *
3. A Rebours
4. 32nd of December
5. Pipedown  *
6. Sticks and Stones  *
7. Killamangiro  *
8. 8 Dead Boys
9. In Love with a Feeling
10. Pentonville
11. What Katy Did Next
12. Albion  *
13. Back from the Dead  *
14. Loyalty Song
15. Up the Morning
16. Merry Go Round

 

Vidéos

“Fuck Forever”

 
“Albion”
 
 
“Killamangiro” 
 

 

Vinyle : 

 Aussi imparfait que soit l’album, le double album vinyle de Down In Albion est superbe.

BabyShambles - Down In Albion

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keod
Invité
18 janvier 2006 3 h 40 min

en meme temps y a pas que le punk dans la vie , perso le coté un peu crade des libertines ne m’a jamais attiré , la je trouve que l’ensemble est plus lisse et musicalement , ça passe plutot bien pour qui aime la pop ( bon par contre pour pentonville, la je suis d’accord , c’est du grand n’importe quoi ;p )

max Ricard
Invité
max Ricard
22 octobre 2008 2 h 48 min

Bon, je vais devoir euh… assumer mon amour pour ce disque et le défendre un peu…ou beaucoup. Je m’excuse d’avance d’être verbeux.

 

En 2006 au moment ou j’écoute cette galette pour la première fois Pete Doherty est devenu une star pour de mauvaises raisons. Dès la dissolution crêve coeur des Libs, des photos d’un Doherty au look phase terminale apparaissent dans les magazines les plus incongrus. Soudainement tout le monde veut être aux premières loges pour assister à l’autodestruction de l’artiste. Mais l’overdose sera pour les vrais fans de musique, qui voient leur idole avalée par un troupeau de voyeurs hypocrites qui ne manquent pas de questionner le talent réel d’un être humain à côté de ses pompes. Car les rockeurs en 2006 ne se droguent plus…c’est bien connu. Faites garder vos enfants par Jack White ou les Franz Ferdinand ou alors confiez votre fille aux Strokes,  après tout ces gens l’affirment à longueur d’entrevues “nous, c’est la musique, point barre”….la belle affaire…vous avalez ça ??  Alors imaginez les cris d’effraie devant le rockeur qui vous montre qu’il se défonce avec votre fric….

Devant le déferlement médiatique qui entourent alors ce cher Pete, les pressions sont fortes pour qu’un disque se fasse. J’avoue que ma surprise est grande lorsqu’on annonce que l’enregistrement est completé. Déja le simple “Fuck forever” témoigne de la fatigue, voix éteinte, tempo qui bouge et production erratique d’un Mick Jones dépassé par les évenements. Le “b-side” East of eden semble confirmer les pires craintes avec sa guitare désacordée…ce premier disque des Babyshambles sera bancal et complaisant. J’aurai le temps de réécouter ce simple plusieurs fois avant d’avoir ma copie de Down in albion, je m’attend donc au pire….Evidement, je suis fan, ma première écoute se fait au casque , l’apréhension en bandouillère.

La belle et la bête confirme d’abord mes craintes avec son ambiance d’appart crasseux plein de parasites. Fuck Forever me parait soudainement à sa place ( they’lllnever play this on the radio !!, pour sûr),. Lorsque déboule A Rebours il se produit quelque chose que je ne controle pas…j’adore, il y a quatre idées de chansons la dedans et Doherty démontre que ses Babyshambles seront pop-Kinks ou les libs étaient punk-euh-Kinks. En ce qui me concerne la jouissance se poursuit avec 32 of december, toujours cette impression que Doherty est le roi des chansons à main levée. Soulignons ici la présence d’un très bon bassiste ( fidèle Drew McConnel) et d’un guitariste inventif à défaut d’être virtuose. Si Pipe down nous offre un Pete à la voix enfin claire et forte, c’est Stix and Stones qui semble résumer cette année de misère, Reggae destroy à l’ambiance morbide zebrée de fulgurances, cette chanson nous plonge au coeur d’un monde très noir.

Les autres temps forts : 8 dead boys, what Katie did next, Back from the dead (traitée à la clash) et Loyalty song ( seul moment un peu joyeux ici ).

Les faiblesses : Bien sûr Pentonville est encombrante, mais l’idée a le mérite d’être audacieuse. In love with a feeling dont le titre semble réveler l’état des interprètes, mais surtout c’est vrai : Albion, chanson connue depuis des lustres par les fans et qui aurait méritée d’apparaitre ici dans sa forme initiale. Pour ce qui est de Up the morning, disons que l’ambiance fin de nuit se ressent autant qu’elle s’entend.

 Pour vous épargner un roman, je dirai que la force de cet album pour moi est d’exister tout simplement. Un peu comme l’inconfortable White Light White Heat du Velvet. Album photo d’une année de dope, de paparazzis, de taule, et de romance anorexique, il s’agit d’un état de fait ou la vie court cicuite l’inspiration. Imparfait, très certainement, mais qui ose encore faire des disques comme cela chez une étiquette « major » ? Pas de pro-tools, « ce que vous entendez est ce que nous sommes ».

Au final le grand perdant de l’aventure sera le réalisateur Mick Jones, qui jette l’éponge après des années de complicité chaotique. J’ose croire que les révisionnistes du futur  salueront ses talents de réalisation, car le monsieur a tout de même permis à ces Libertines et Shambles de sonner différents.

Les démos étaient meilleurs ? Peut être est ce le prix à payer lorsqu’on a accès à tout le matériel…mais alors on a qu’a les écouter ces démos.

Down in Albion, non je ne l’écoute pas souvent, mais qu’est ce que c’est rassurant de savoir qu’il existe. 

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