(Burger Records / Mauvaise Foi Records 2013)
“Fiesta !!! »… C’est par cette invective enthousiaste de Bobby Harlow que débute ce disque attendu depuis des années.
Pour le fan militant de The GO, la possibilité d’un nouvel album du combo culte de Detroit était encore peu envisageable il y a encore un an. Le groupe s’était diversifié dans un projet pop seventies chromé nommé Conspiracy Of Owls, puis le chanteur Bobby Harlow s’était remis au rock’n’roll l’espace d’un album avec Magic Jake avant d’être enfin reconnu comme producteur de talent aux manettes de l’excellent deuxième album de King Tuff, un des succès indé de l’année passée aux USA. Et puis Burger Records est passé par là. Ce label fantasque et créatif a offert une preuve d’amour incommensurable pour The GO, en publiant début 2012 un coffret délirant de 5 cassettes avec 90 morceaux inédits du groupe, ce qui a valu à ce dernier un regain d’intérêt fugace, mais a surtout donné l’envie à Bobby Harlow, John Krautner et Marc Fellis de remettre le pied à l’étrier.
Ainsi, en septembre 2012 une nouvelle fit l’effet d’un coup de tonnerre auprès des 12 fans aveuglés du groupe : The GO annonçait son retour avec panache par le biais d’un double-album vinyle mixé en mono. Lorsque l’album fut mis en vente le jour de l’apocalypse maya, précédé d’un extrait aux déstabilisantes sonorités reggae, l’affaire n’en finissait plus de nous rendre fous et laissait songeur : le groupe derrière deux chefs d’œuvres aussi épiques et éclectiques que Whatcha Doin et Howl On The Beat You Ride pouvait-il se vautrer ? Allait-on avoir droit à un grand raté ou pire, un album tiède ? C’est ainsi que le jour où on reçut dans un carton cabossé nos exemplaires du vinyle tant attendu, une appréhension nouait notre estomac au moment de poser la cellule sur le premier sillon de Fiesta.
Une inquiétude confirmée par les premières secondes de l’album : après le cri inaugural qui lance le disque, des sonorités africaines viennent planter un décor plutôt inattendu. On entre à tâtons dans un univers fermé et opaque, une expérience à part entière, une jungle musicale dont on ne sait si on ressortira indemne. Tam-tams et flûte créent une atmosphère intrigante qui déroutent l’auditeur, déjà fébrile devant ce disque intimidant. Car avant même d’avoir écouté la moindre seconde de musique, il faut bien avouer que se trouver devant la tâche d’écouter les quatre faces vinyle de ce double-album a de quoi impressionner. Le groupe le sait bien et en joue. Les rythmes africains de “Voices Rant On” ajoutent au trouble que le groupe prend un malin plaisir à créer et à balayer ensuite d’un premier cinglant accord de guitare. Cette chanson d’ouverture est une des plus belles de l’album, le genre de mélodie impossible à se sortir de la tête, un grand morceau qui donne le ton de l’album. Fiesta sera groovy, délicat, mélodique, déroutant, joyeusement intoxiqué, versé dans les seventies de la première à la dernière seconde.
Après ces débuts étonnants, l’album bascule toutefois rapidement en territoire connu. John Krautner chante la première de ses nombreuses bluettes bubblegum – sa marque de fabrique – qui fleurissent tout au long de l’album (“Beyond The Beyond”, “It Always Happens To You”, “Can’t Rely On It”, “Girls In Trouble”), dans la lignée du single “Christmas On The Moon” ou de “Mary Ann” de l’album précédent. Tous ces morceaux enjoués montrent que The GO sont toujours de grands enfants qui ne se prennent pas au sérieux. C’est plutôt rassurant à écouter car le projet de double-album mono en avait fait frissonner plus d’un. La crainte d’un gros pavé prétentieux ou d’un délire inaudible sont vite estompées par la qualité des morceaux.
Une des caractéristiques de Fiesta, surtout si on le place en comparaison des œuvres précédentes de ses auteurs, c’est la place importante donnée aux morceaux contemplatifs portés par des grooves lancinants à la basse. “So Let’s Pinch” (dont la progression d’accords rappelle “Sunshine Bee” du coffret de cassettes) est le premier de ces morceaux d’ambiance qui font de Fiesta une drôle de bête. A première écoute on les trouve mous, sans nerf. Une fois qu’on a bien saisi l’essence de l’album, ils apparaissent comme le socle de l’album, un fil conducteur groovy qui s’écarte occasionnellement pour laisser percer les vrais sommets de Fiesta. De “Labor Of Love” à “I’m A Dot In A Place” en passant par “No More Stars”, on trouve ainsi une flopée de ces morceaux à la rythmique implacable. Ils font le liant entre les pépites bubblegum et les chansons plus poignantes (souvent sorties de la plume d’Harlow) telles “Bet I’m Late”, “Hire A Navy” ou la lacrymale “I Fear To Think I’m Here” qui devrait plaire aux fans de Big Star.
Seul écueil à tout cela : l’album est extrêmement dense et finalement assez peu accessible au premier abord. Peu varié en termes de tempo et globalement peu nerveux, il dégage une sensation de continuité qui peut se muer en lassitude la première fois qu’on arrive à la quatrième face du disque (d’autant que la face C est la plus calme des quatre et n’incite pas vraiment à aller jusqu’au bout de l’écoute, ce qui serait franchement dommage). Fiesta est un disque qui se mérite, qu’il faut débroussailler à la machette afin de pouvoir accéder à ses plus beaux recoins. Devant la luxuriance étourdissante de cet album, on passe parfois à côté de la beauté de certains morceaux. Ils nous a ainsi fallu plusieurs écoutes afin de réaliser que “For Me Alone ” était une chanson extraordinaire. Même chose pour “Tease My Ears” où le groupe retrouve la coolitude des meilleurs moments de Supercuts. Ces morceaux, coincés entre les mélodies bubblegum du premier disque et cette face D à la couleur exotique (“Ya Gimme That Feeling”, le RnB old-school de “Girls In Trouble”, l’enchaînement ska/rocksteady de “In The Garden” / “Dirty Room”), sont des joyaux cachés qui font la beauté et la poésie de ce Fiesta, album sans doute trop long mais dont la richesse se révèle inépuisable.
S’ils avaient été des gestionnaires avisés, The GO auraient pu faire un album condensé de douze morceaux, composé uniquement de tubes immédiats et de singles potentiels. Un condensé de génie pour les générations futures. Or, The GO l’a déjà démontré, sortir des chefs d’oeuvres ne paie pas. Fidèle à sa réputation, le groupe a donc choisi d’aller vers l’improbable en suivant son inspiration du moment et en décidant de faire de Fiesta un disque-fleuve, un monde parallèle où le groove est roi. Un univers où, inlassablement, The GO reprend le fil conducteur de son voyage rythmique en enchaînant ses pépites pop d’étrangetés planantes aux lignes de basse chaloupées, si bien qu’au fil des écoutes on n’arrive plus à concevoir les morceaux de Fiesta individuellement, mais comme les maillons d’un seul message.
Comme l’indique la pochette, l’album a été enregistré en Imaginary Jamaica, ce qui donne une idée de l’état d’esprit du groupe à l’heure d’élaborer Fiesta. Aurait-on affaire à un album de défonce ? Disons que dans certaines dispositions Fiesta s’apprécie encore mieux. Ce qu’il faut surtout noter, c’est que Harlow et Krautner restent des fantastiques faiseurs de son. On ne peut que s’émerveiller devant la pureté de leurs harmonies, la diversité de leurs trouvailles mélodiques, de ces lignes de basse infectieuses qui finissent par obséder l’auditeur, du jeu de batterie phénoménal de Marc Fellis, de ces touches de saxophone et guitare slide qui ajoutent des couleurs à ce kaleidoscope sonique. Terrés dans le studio de Bobby Harlow, les musiciens ont laissé libre court à leur imagination et recréé les années 70 dans ce qu’elles avaient de plus laid-back et d’extravagant pour en faire quelque chose d’unique, un mélange diffus de divers genres oubliés ou considérés obsolètes.
Une forme de soft-rock groovy et sinueux qui évoque les Byrds de (Untitled)/(Unissued), les Beatles de l’album blanc, le bubblegum faussement naïf de la fin des années 60, ainsi que divers pionniers de la conquête spatiale intérieure (Pink Floyd, Kevin Ayers, le Twink de Think Pink), et qui n’appartient qu’à eux.
Tracklisting :
Face A
01. Voices Rant On *
02. Beyond The Beyond *
03. Inside A Hole *
04. So Let’s Pinch
05. Labor Of Love *
Face B
01. Action Man
02. It Always Happens To You
03. I’m A Dot In Place
04. Bet I’m Late *
05. Hire A Navy *
Face C
01. For Me Alone *
02. No More Stars
03. Can’t Rely On It
04. Tease My Ears
05. I Fear To Think I’m Here
Face D
01. Ya Gimme That Feelin *
02. Girls In Trouble
03. In The Garden *
04. Dirty Room *
05. Last To Know
L’album est en écoute via bandcamp
Vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=9czGw1Lb05k
Vinyle :
L’album est sorti en diverses couleurs, le vinyle contient plusieurs lock-grooves.
L’album est aussi sort dans une version française alternative chez Mauvaise Foi Records.