WARM SODA – Symbolic Dream

Retour en forme

(Castle Face Records 2015)

On n’aura jamais assez d’une chronique pour écrire tout le bien qu’on pense de Matthew Melton, loser magnifique à gueule d’ange et au charisme fou, ni assez de flamboyance stylistique pour rendre un hommage à la hauteur de l’un des guitaristes rock ‘n’ roll les plus excitants et inventifs du moment. Le leader de Warm Soda est l’un de ces rares types (une pensée pour Mick Jagger et Will Ferrell) coupables de susciter chez des hommes pourtant solidement ancrés dans leur mâle virilité d’embarrassants émois homosexuels. Hélas, camarades culturistes, il est temps pour nous d’arrêter de rêver : Matthew Melton s’est marié.

C’est qu’il s’en est passé des choses en 2014 pour le moustachu au cuir mat. Furieux contre une partie de son groupe et profitant de l’occasion d’un déménagement vers Austin, le Prince du Boogie a entièrement recomposé l’effectif de Warm Soda autour de son auguste personne : les velus Caleb Dawson et Austin Shockley (par ailleurs membres des très bons Bad Lovers) ont été embauchés pour assurer la partie rythmique, Alex Capistran pour ferrailler à la seconde guitare. Surtout, Melton a rencontré le grand amour.

Vous avez bien lu. Matthew Melton, l’homme qui affirmait encore il y a deux ans que l’amour n’était pas fait pour lui (son cœur avait été brisé alors qu’il était ado, ça ne pardonne pas1), a rencontré en tournée une nénette néerlandaise avec laquelle il s’est maqué et vit une love story comme on n’ose même plus en écrire à Hollywood. Une telle nouvelle réjouit autant qu’elle inquiète : comblé, Melton aura-t-il encore la foi ? La musique de cet éternel insoumis peut-elle survivre à un mariage ? A PlanetGong, on est anti mariage car le mariage mesdames et messieurs n’est pas rock ‘n’ roll et nous qui avons fait de l’adage sex, drugs & rock ‘n’ roll un mode de vie préférons collecter les femmes et conserver leurs petites culottes en guise de trophées mesdames je vous envoie mon numéro quand vous voulez mais apprenez d’abord que je suis libre comme l’air car oui j’ai souffert il y a bien longtemps et l’on ne m’y reprendra plus. Alors autant vous dire que, tel un sulfureux et obscène rédacteur de chez Rawpowermag que nous ne nommerons pas ici, on s’apprêtait à rédiger cette chronique de Symbolic Dream au canif, dans la peau d’une prostituée louée pour l’occasion.

Malheureusement pour notre gloriole gonzo, cet album est bien meilleur que ce que ces événements passablement tragiques laissaient présager. A vrai dire, Matthew Melton n’a rien changé à sa formule magique et a eu la présence d’esprit de ne pas saboter son disque comme la fois précédente. C’est heureux, car la relative déception de Young Reckless Hearts nous a rappelés combien notre dose annuelle de morceaux signés Melton nous est plus vitale qu’il n’y paraît. Matthew la classe est donc en pleine forme, revigoré par les changements qu’il a vécus, et nous donne à écouter un excellent album, pendant joyeux au dernier disque dépressif de Bare Wires. Les perles powerpop continuent de défiler avec une insolente facilité, bien que – soyons honnêtes – les tubes immortels à la “Jeanie Loves Pop” manquent un peu à l’appel. Le changement de line-up n’a quant à lui pas bouleversé le son du groupe, et la dangereuse idylle semble en fait avoir renforcé son obsession pour la bluette amoureuse. Enfin, ayant pris acte de la volée de bois vert encaissée après le précédent essai, Melton a même mis les bouchées doubles en matière de production, ici très soignée.

Seule ombre au tableau (pas des moindres, argueront les ronchons) : a-t-on envie d’écouter pour la énième fois une suite de variations sur le même thème telle qu’en produit Melton depuis 4 ou 5 ans ? La lassitude serait concevable, tant on a parfois un peu l’impression d’avoir déjà entendu tout cela auparavant dans les disques précédents de Warm Soda et de Bare Wires. Pas tout-à-fait la même chose, certes : la production s’éclaircit, la guitare est moins cavalière et plus tendue, Melton moins frondeur et plus tendre. La musique, globalement, perd un peu en fougue ce qu’elle gagne en finesse mélodique. Mais enfin, la formule reste peu ou prou identique : aplomb glam (“Symbolic Dream”),  candeur powerpop (“Will You Be There For Me Tonite?”) et boogie à gogo (“Dream I Left Behind”). Et l’auditeur de devoir faire un choix que nous qualifierons de philosophique (farpaitement), car la vision de Melton, qu’il a récemment exposée en interview, est singulièrement problématique : concevant la musique comme une fontaine de jouvence, un moyen de retrouver l’innocence perdue des années highschool, et étant en perpétuelle recherche d’un absolu pop idéal qui le pousse à creuser sans fin le même sillon, celui qui « voudrait aller vite » risque le surplace. Le fidèle doit ainsi choisir : accompagner dans cette quête immobile le doux rêveur poilu, ou bien s’en tenir aux cinq ou six disques qu’il possède déjà et qui ont sûrement déjà dit beaucoup de ce que Melton dira plus tard.

Coupons court au suspense insoutenable qui, je le devine, chers et innombrables lecteurs, vous torture : l’auteur de ces lignes n’a pas mis longtemps à faire ce choix. Comme le suggèrent d’emblée cette formidable pochette et la durée du disque (26′ – deux morceaux seulement dépassent les 2’30 !), Warm Soda est un mode de vie ; le jusqu’au-boutisme de Melton, sa désarmante sincérité et son idéalisme forcené ne suscitent chez nous qu’admiration et reconnaissance. Et puis, que reprocher à pareil disque, dès lors qu’on l’écoute comme il se doit : innocents et imperméables au cynisme ambiant ? Tout sonne à merveille, chaque chanson atteint son but. Comment résister au solo étourdissant de « Symbolic Dream » ? Comment ne pas sauter partout dans sa chambre sur « I Wanna Know Her » ? Comment, enfin, ne pas finir à genoux en écoutant « Lemonade Lullaby », ballade idéale pour le slow de bal de fin d’année et bijou de poésie adolescente (« What is the reason / You’re too old to cry / It must be lemonade / Fallin’ from your eyes », Rimbaud pouvait toujours courir pour écrire un truc pareil) ?

En dépit des menus aléas qui ont récemment parsemé la vie de Melton, il demeure cet éternel sale gosse romantique, dont les vignettes teenage nourrissent les fantasmes des lycéens enamourés, apaisent les vingtenaires angoissés par la vie et offrent l’exemple à suivre aux vieux qui s’embourgeoisent. Il le chantait déjà avec Bare Wires en 2011 : “Don’t Ever Change”. Obstinément fidèle à des idéaux que peu de parents comprendront, Matthew Melton incarne la quintessence de l’esprit pop, de la même manière qu’un Chuck Berry incarne celle de l’esprit rock’n’roll. Aussi longtemps qu’il ne changera pas, il aura droit à notre prosternation inconditionnelle.

 

 

Tracklisting :

  1. I Wanna Know Her *
  2. Dream I Left Behind
  3. Cryin’ For A Love
  4. I Know The Cure *
  5. Symbolic Dream *
  6. Find That Girl
  7. I Wanna Go Fast *
  8. Just Like Me Before
  9. Can’t Erase This Feeling
  10. Will You Be There For Me Tonite?*
  11. Don’t Walk Away
  12. Lemonade Lullaby *

1 Interview sur le site Foggy Girls Club

 

Vidéo :

“Can’t Erase This Feeling” (clip de l’année)

 

  1. “tel un sulfureux et obscène rédacteur de chez Rawpowermag que nous ne nommerons pas ici, on s’apprêtait à rédiger cette chronique de Symbolic Dream au canif, dans la peau d’une prostituée louée pour l’occasion.”

    ahahah ça m’a bien fait marrer.

  2. Vous avez bien raison Monsieur Léo, le mariage c’est moche ! Soyez-en préservé le plus longtemps possible afin de continuer à trouver le temps, contrairement à d’autres, de nous abreuver de vos chroniques.

  3. Le vrai problème avec Melton, c’est qu’il refait le même disque depuis “Seeking Love” (le dernier Bare Wires étant la seule relative incartade à la formule).
    Il devrait se débrouiller pour bosser avec Harlow, histoire d’avoir enfin une vraie production à la hauteur et peut-être aborder d’autres territoires.
    Quand on écoute le Ex Hex, on n’ose imaginer ce que ça donnerait avec Melton.

    J’en ai un peu ras le bol de tous ces disques plus ou moins autoproduits. Les types sont incapables de trier leurs compos, le son est globalement dégueu… Au début c’est sympa le côté lo-fi mais au bout du nième disque ça devient gonflant.

    1. Tout à fait d’accord, d’autant qu’en plus le gars publie un album par an, et recycle sa formule sans cesse (cela dit, celui-ci est réussi, surtout si on le compara au précédent, franchement dégueulasse).

      A mon avis, il ne va pas changer de formule parce qu’il vit de son “studio” et produit, l’air de rien, quelques disques tous les ans… (et dans 15 ans on sera encore là à faire des “what if…”)

    2. Il a prévu de faire un album de pop sixties au piano avec sa nénette, si on en croit les petites souris du forum !

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