DAN AUERBACH. Entretien avec un outsider

Interview

Il est assez rare de voir des interviews dans PlanetGong. Ceci vient du fait que la moitié de l’équipe rédactionnelle réside en Pologne tandis que les autres 50% ont du mal à se bouger le cul pour rencontrer les meilleurs groupes du monde.

PlanetGong a eu la chance de rencontrer Dan Auerbach en mai dernier, au lendemain de la sortie de son premier album solo. Cet entretien avait alors été réalisé en vue d’une publication dans un mensuel spécialisé, mais n’a jamais été publié. Il est temps de l’exhumer.

 

Entretien
18 mai 2009, Le Trabendo

(Photo : Florent Garcia)

 

Connu pour son implication en tant que chanteur et guitariste du duo blues The Black Keys, Dan Auerbach est un homme occupé. Depuis qu’il a posé en 2007 la première pierre de son studio vintage Akron Analogic en Ohio, Auerbach s’est construit une solide réputation de producteur en enregistrant le fleuron de la nouvelle scène rock’n’roll américaine. Radio Moscow, Buffalo Killers, Black Diamond Heavies, Brimstone Howl… tous ces groupes découverts et produits par Auerbach ont ainsi bénéficié de l’expertise du musicien qui a doté leurs albums d’un son puissant et chaleureux.

De passage en France pour défendre son premier album solo Keep It Hid, le nouveau gourou de l’underground US nous a fait partager sa vision de la musique.

PlanetGong : D’où vous vient votre amour du blues ?…

Dan Auerbach : Mon père m’a tout fait découvrir : rock’n’roll, boogie, jazz… Il mettait Cab Calloway, les Beatles, Louis Jordan, Son House. C’est ce
qui passait dans ma maison, tout le temps, très fort. Et ma mère est une très bonne musicienne, elle jouait du bluegrass et du folk et m’a initié à la guitare.

 

PlanetGong : Vous n’aviez pas d’autre choix que d’être musicien.

Dan Auerbach : Mon père passait des trucs qui sortaient de l’ordinaire, et j’en suis devenu obsédé, ça m’a vraiment plu. Mon frère n’écoute pas
tellement ça. C’est quelque chose dans lequel je me suis jeté à corps perdu. Mon père passait du Son House, du Robert Johnson et je me suis mis à chercher Lightnin’ Hopkins, Robert Pete Williams, Furry Willis, tous ces gens qui étaient intéressants et uniques, avec leur propre style. Ça m’a rendu fou. C’était avant Internet, alors j’allais dans les bibliothèques, j’appelais les disquaires, ce genre de trucs.

 

PlanetGong : Etes-vous du genre à passer des heures sur Internet à chercher des raretés ?

Dan Auerbach : Ouais, on peut le dire ! On peut trouver des trucs dingues sur Internet. On trouve presque tout. C’est à la fois une bonne et une
mauvaise chose. Pour certaines choses le marché est saturé, mais c’est quand même utile pour dénicher des disques rares. Je ne peux m’imaginer les années 60, comment parvenaient-ils à trouver des 78 tours ? Comment faisaient-ils ? Je ne sais pas comment j’aurais pu découvrir Furry Lewis ou ces gens que mon père écoute comme Sleepy John Estes, c’est fou.

 

PlanetGong : Vous faites une reprise de Jon & Robin sur votre album solo, un morceau obscur, “I Want Some More”. Où l’avez trouvé ?
Dan Auerbach
: Je faisais des recherches au Texas dans le studio d’un mec qui s’appelle Robin Hood Brians. Sa marque de fabrique, c’est d’avoir été le premier à brancher une fuzz sur une basse. Etant de passage au Texas, je cherchais des enregistrements qui avaient été faits dans ce studio et ce morceau de Jon & Robin était un de ceux où il y avait de la basse fuzz (il imite le riff), ensuite l’orgue arrive en faisant “tip tip” et ça devient du Sonny & Cher. Une chanson simple mais cool.

 

 

Jon & Robin -” I Want Some More”

 

PlanetGong : Ça évoque le Dylan de “Time Out Of Mind”…

Dan Auerbach : Ce rythme syncopé, c’est à cause d’Augie Meyers. Vous connaissez Sir Douglas Quintet ? Je suis dingue du son d’orgue et du jeu de
clavier d’Augie Meyers. Il m’a énormément influencé. J’adore aussi comme Doug Sahm prenait toute la musique qu’il aimait, blues, soul, rock’n’roll, psychédélique, et mélangeait tout. C’est ce que
j’essaie de faire aussi

 

PlanetGong : Parlez-nous de Jessica Lea Mayfield qui chante sur votre album.

Dan Auerbach : Elle y fait des harmonies. Quand je l’ai rencontrée, elle avait 16 ans et elle chantait ces chansons dépressives… Nous avons commencé
à enregistrer son disque, quand elle est entrée dans le studio, elle avait les cheveux blonds décolorés, un grand sac rempli de médicaments prescrits et de mignonnettes de whiskey. Elle est incroyable, c’est une excellente musicienne.et sa façon de chanter est géniale. Donc nous avons commencé à enregistrer, et deux ans plus tard nous avions assez de chansons pour un bon album.

 

PlanetGong : Sur votre album, vous faites tout de A à Z. Pourtant, quand vous avez débuté avec les Black Keys, c’était Patrick Carney qui s’occupait de laproduction…

Dan Auerbach : Non, pas vraiment. Il a mis “producteur” sur la pochette parce que ni l’un ni l’autre ne savions vraiment ce qu’était un producteur. Je pense qu’il aimait des gens comme Steve Albini donc il a voulu faire un album “autoproduit”. Plus tard, quand nous avons compris ce qu’était réellement un producteur, nous avons mis “The Black Keys”, c’est ce qui s’est passé pour Rubber Factory et Magic Potion.

 

PlanetGong : Pourquoi avoir bâti à Akron un studio entièrement analogique ?

Dan Auerbach : Il n’est pas entièrement analogique, c’est impossible, je ne suis pas si extrême, enfin je ne pense pas. En tous cas, une fois que
vous avez réellement entendu comment sonne un enregistrement analogique, c’est difficile de vouloir utiliser autre chose. La plupart des gens n’ont jamais entendu un bon enregistrement mono sur un 45 tours. Il y a plus de basses, plus d’aigus, plus de dynamique. Une grosse stéréo tue tout, ça détruit les trucs. Je deviens lentement un puriste, je ne veux pas être snob, mais je commence à le devenir.

 

PlanetGong : Vous recherchez une certaine authenticité, un certain classicisme.

Dan Auerbach : Tout ce dont vous avez besoin, c’est un bon ingénieur. Il suffit de peu de choses : une bonne salle, un bon micro, un bon groupe. Vous n’avez pas besoin de grand-chose. Ces dernières années, j’ai épuré mon studio jusqu’au strict minimum, il sonne mieux.

 

PlanetGong: Devenez-vous de plus en plus un ingénieur et de moins en moins un musicien ?

Dan Auerbach : Je suis autodidacte et j’aime les choses simples. Je n’aime pas les gens qui friment, je n’aime pas ce qui est fantaisiste. J’aime une pureté dans le ton et je fais la même chose en studio. Mon but dans les prochaines années serait d’avoir une vraie maîtrise du studio, que ça devienne une seconde nature. Pour l’instant, j’essaie encore d’atteindre cela. Je n’ai pas encore enregistré l’album qui sonne comme je le désire. Mais bientôt, bientôt…

 

PlanetGong : Depuis que vous avez votre propre studio, vous avez débuté une deuxième carrière de producteur. Vous avez enregistré des groupes tels que les Buffalo Killers, Hacienda, Brimstone Howl… Vous êtes devenu une sorte de figure tutélaire de la nouvelle scène rock américaine. “Produit par Dan Auerbach” est devenu une sorte de label qualité…

Dan Auerbach : C’est super. J’ai la chance de me trouver dans une position où je n’enregistre que les groupes qui me plaisent. Si je m’occupais du studio, et rien que du studio, je devrais enregistrer tout le monde, même des gens que je n’aime pas, parce que si on veut en vivre, on doit enregistrer tout le monde. Je ne suis pas comme ça. Je fais le tri et je choisis, donc c’est cool. J’écoute des groupes, si je les aime vraiment, je vais les voir en concert et s’ils sont bons, eh bien enregistrons-les !

 

PlanetGong : Comment avez-vous découvert tous ces groupes ?

Dan Auerbach : De différentes façons. Certains d’entre eux sont venus à mes concerts me donner une démo, comme Parker Griggs de Radio Moscow. En revanche, Brimstone Howl je les ai contactés parce que j’avais entendu leur premier album et quelques uns de leurs 45 tours, ce qu’ils faisaient à l’époque à l’endroit d’où ils viennent, au Nebraska. John (Ziegler, chanteur du groupe — NdA) est un songwriter incroyable et il est complètement dingue. Son père est très religieux, lui-même est très religieux et cultivé. J’ai adoré parce que c’était les Cramps, mais avec une qualité d’écriture incroyable. Leurs chansons ne sont pas trop sérieuses, John écrit de façon étrange et imprévisible, c’est vraiment extraordinaire.

 

PlanetGong : Où avez-vous rencontré les Buffalo Killers ?

Dan Auerbach : Je les connais depuis toujours, depuis leurs débuts. Ils jouaient dans un groupe nommé Thee Shams. The Greenhornes, Thee Shams… il y
avait quelques groupes à Cincinnati, au sud de l’Ohio. Je les connaissais du circuit local, nous avons tourné avec Thee Shams puis je n’ai plus entendu parler d’eux pendant longtemps, du genre un an et demi, et un jour quelqu’un m’a dit “mec, tu devrais écouter Andy et Zach (les frères Gabbard — NdA), ils ont ce nouveau groupe”. Et j’ai écouté, et ils étaient putain de bons! C’était vraiment différent de ce qu’ils faisaient avant. Il y avait des vraies chansons, avec des harmonies, j’ai vraiment aimé. En plus, ils sont excellents sur scène, Joe (Sebaali — NdA), est un batteur incroyable.

 

PlanetGong : Il y a aussi Hacienda, dont vous avez produit le disque et qui jouent avec vous sur scène sous le nom de Fast Five.

Dan Auerbach : Oui, ce sont les gars d’Hacienda avec Patrick (Hallahan — NdA) de My Morning Jacket. Il joue de la batterie et des percussions.

 

PlanetGong : Ça ressemble à un supergroupe !

Dan Auerbach : Ça dépend surtout de votre définition de “super”! En tous cas, j’ai choisi ces musiciens parce qu’ils sont vraiment très bons et non pas parce qu’ils étaient Hacienda. Je les ai choisis parce qu’ils sont tous bons : excellent batteur, bon guitariste, bassiste génial, organiste excellent, c’est parfait. Ils sont tous de la même famille, ce qui est cool parce qu’il y a un lien qui est différent de la plupart des autres groupes… trois frères et un cousin.

 

PlanetGong : Comment se passe la tournée ?

Dan Auerbach : J’aime beaucoup, j’ai toujours été un joueur d’équipe. Je joue au basket, au foot, j’aime faire partie d’une équipe, c’est la même sensation. Je suis un jock (stéréotype du lycéen américain sportif  — NdA). Je fais du jock-rock (rires)!

 

PlanetGong : Avec tous ces groupes que vous produisez, vous avez presque à vous seul réveillé la scène blues et rock’n’roll aux USA.

Dan Auerbach : Ce n’est pas intentionnel mais c’est cool. Je travaille avec les groupes que j’aime, c’est vrai que la scène actuelle est excellente. Il y a des super trucs, comme Hacienda, les Buffalo Killers, Strange Boys, Dr. Dog, ce sont des groupes géniaux, et pas dans un style particulier. Ils sont tous différents, mais ils possèdent le même feeling. Vous savez, les Etats-Unis sont un grand village. On fait de la musique avec le peu qu’on a autour de soi, par nécessité. Ça sonne toujours meilleur, ça sonne toujours plus virginal, plus frais que les choses qui sont planifiés et complotées comme à New York, Londres ou Los Angeles. Tous les groupes avec lesquels je travaille ne veulent pas faire partie d’une scène. Brimstone Howl au Nebraska, Buffalo Killers de Cincinnati, ce sont des outsiders. C’est de la musique d’outsiders, de l’art outsider.

 

PlanetGong : Allez-vous enregistrer d’autres groupes dans le futur proche ?

Dan Auerbach : Je vais faire un autre disque pour Jessica. On fait un autre album, on vient de faire une chanson la semaine dernière, pour la BO d’un film. Le producteur du film voulait qu’elle chante une chanson de The Brian Jonestown Massacre, c’était cool. Ça sonne vraiment bien. J’ai pas mal de choses en cours. Il y a un groupe de bluegrass de Nashville que je vais enregistrer, puis ce sera le tour des Black Keys dans quelques mois pour un nouvel album et ensuite un album solo, un autre.

 

PlanetGong : Vous n’arrêtez jamais ! L’an dernier vous avez produit 4 ou 5 albums, fait votre album solo et celui des Black Keys, comment faites-vous
?

Dan Auerbach : J’adore ça. Ce n’est pas qu’un simple boulot, je suis très chanceux de faire ce que j’aime.

 

 

 

 

La chronique de Keep It Hid sur PlanetGong : www.planetgong.fr/article-28725340.html

 

 
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domi
Invité
domi
19 janvier 2010 8 h 25 min

merci eric, il était temps de publier cette pépite. Dan Auerbach … respect

SysTooL
Invité
SysTooL
19 janvier 2010 9 h 07 min

Cool, cette interview… Il était temps de sortir des affres de l’oubli! J’aime beaucoup la philosophie de Dan Auerbach, son côté puriste… mais surtout il a sorti deux très bons albums en 2009 :
son album solo et le Blakroc, très sympa aussi!

Vivement le prochain BLACK KEYS!

SysT

beat4less
Invité
beat4less
20 janvier 2010 4 h 38 min

Cool ! ça a du être un bon moment cette interview 

Dr.Nichon
Invité
20 janvier 2010 2 h 12 min

vous avez fais quoi après ? partis boire une bière ? vous êtes allés au disco ?

Don Van
Invité
Don Van
21 janvier 2010 7 h 32 min

putain de bons!” fucking great

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