Ce n’est pas vraiment un hasard si Darkthrone et Nirvana sont contemporains l’un de l’autre.
Seattle, Oslo.
Au début, Fenriz (batteur) et Nocturno Culto (guitariste) faisaient comme tous les adultes en crise de l’époque, ils jouaient du « Death », c’est-à-dire du Métal de la Mort. C’étaient de bons musiciens, ils donnaient de temps en temps des concerts.
Et puis, ils ont eu l’intuition.
À vrai dire, même chez nous, quand Hard-Rock Magazine sortait son hors-série d’été « Thrash, death et musiques extrêmes » et qu’on voyait en couverture poser un mec de Slayer en bermuda jaune à carreaux, on se disait que quelque chose clochait.
Au fond, le death-metal, c’était technique et c’était « fun ». On peut jouer un solo de death en ti-shirt puis faire un tour de skate; ça sonne toujours. Le Métal de la mort ? du Van Halen guttural qui eût davantage déroulé d’intestins sur ses pochettes.
Le désert et la nuit.
Le logo du groupe a l’air d’une mouche écrasée sur une toile d’araignée. Un type chevelu peinturluré mi-druide mi-chauve-sourit bondit ou alunit quelque part. D’abord on ne comprend pas tout : il y a des incantations, un grognement patibulaire ; des bruits de tam-tam ou de bélier, est-ce un feu de camp au pays du Wendigo ?
Puis –
c’est un énorme lâcher, un dégueulis méphitique. On entend du punk réfrigéré qui maçonne à toute berzingue et très mal enregistré, c’est-à-dire très bien. La voix qui n’en est plus une râle depuis l’autre côté du monde.
Il n’ y a plus rien : plus de « chant », plus de « riff », plus de « morceau » – mais un déluge monolithique alternativement dilaté ou déprimé. Au tournant des, entre guillemets, couplets, ces montées virulentes de croches arachnéennes, tiii-didididiii-didiii (pardon, nous laissons le solfège aux aimables plaisantins) – ce frisson astringent qui crispe les tendons.
De temps en temps un gars ricane.
Puis, le meilleur, c’est comme chez Black Sabbath : quand la cavalcade s’interrompt en pleine bandaison, et que tout reprend très, très bas dans un ralenti chtonien. La fuzz alors tient de la fascination formelle. Tapis congelé de brouillard radio. C’est cette qualité de fuzz qui doit ici nous retenir.
Le morceau dure-t-il plus de dix minutes ? On peut l’écouter des mois entiers avant de passer à la suite du disque. C’est un album à lui tout seul, un univers.
La légende est formelle : les gars du label, à la première écoute, ont failli mettre la bande à la poubelle, ils croyaient à un problème technique.
Faut-il le dire ? Fenriz a bien vieilli. Son duo a enregistré une vingtaine de disques. Passé quarante ans, élu malgré lui au conseil municipal de son patelin, il porte le blouson jean patché et milite contre les batteries triggés et la musique numérisée.
“Kathaarian Life Code”