(Polydor / Geffen 2023)
S’il est bien un sujet sur lequel les fans de rock aiment débattre, le plus souvent en fin de soirée un peu arrosée, c’est bien les Rolling Stones.
Il y a les fans impénitents, ceux qui trouvent, à force d’auto-persuasion et de manque d’objectivité, des qualités aux pires albums du groupe. Des gens qui préfèrent se repasser Black And Blue plutôt que d’écouter un artiste né après 1975 et redemandent toujours plus de la même soupe que les Stones nous servent depuis le départ de Mick Taylor.
Il y a aussi les intégristes, ceux qui ne jurent que par une période du groupe, qu’ils estiment dorée. Elles sont au nombre de deux. Il y a l’école Brian Jones, les fans des sixties qui préfèrent l’époque où le groupe bouscule le blues et fait entrer la pop dans une nouvelle ère. Et puis il y a la période Mick Taylor, la plus sulfureuse, ces 70s toxiques où Keith Richards, les sens altérés par l’héroïne, ralentit le tempo et emmène le groupe dans des grooves décadents. Tous ces gens là aiment les Rolling Stones d’amour, ce qui les pousse à pardonner beaucoup de choses à Mick & Keith, y compris leurs simagrées les plus grotesques.
C’est pour cela qu’on s’est réjoui quand l’annonce d’un nouvel album des Rolling Stones est tombée. Après le choc du décès de Charlie Watts, on a accueilli la nouvelle comme celle d’un bilan de santé positif de notre grand-mère. Les Stones, depuis le temps qu’on les connait, font partie de la famille. Il n’y a plus que des personnes de plus de 70 ans qui ont grandi dans un monde où les Stones n’existaient pas. Savoir que les Stones font encore de la musique, c’est un peu comme savoir que mamy va encore jouer au bridge tous les jeudis et fait du patchwork avec ses copines. On est content pour elle, mais on n’est pas obligé d’aimer ce qu’elle fait.
Il n’en va pas autrement pour Mick et Keith. Certes, il figurent parmi les auteurs-compositeurs les plus importants du vingtième siècle, mais cela fait bien longtemps qu’ils ont perdu toute pertinence artistique ou même sociétale. Les rebelles d’il y a 50 ans sont aujourd’hui tellement passés de l’autre côté de la barrière que leur chanteur a été anobli par l’Empire Britannique. Et les voir en concert coute 150€. Ça fait beaucoup pour les voir massacrer leurs tubes, mais ils savent formidablement capitaliser sur leur statut de légendes, et tout le monde est content.
C’est ainsi que sort Hackney Diamonds, 24ème album du groupe porté par un premier single auto-tuné et un clip très beauf avec Sydney Sweeney en poule de luxe. Ça fait vieux con, mais après tout, les Stones sont des boomers au sens premier du mot. L’album, évidemment est sans intérêt. Enfin, pas plus que Bridges To Babylon, Tattoo You ou même leur “retour au blues” survendu de Blue & Lonesome. Son seul mérite est d’être “le nouvel album des Stones” et d’être moins affligeant que les dernières productions de Michel Polnareff ou The Who, autres dinosaures ayant dépassé la date de péremption. Ce qui est fascinant, c’est de voir à quel point l’album a été encensé par toute la presse internationale, avec beaucoup de clémence, comme si l’état alarmant dans lequel se trouve le rock aujourd’hui (il n’attire plus les masses) justifiait qu’on ménage les vaches sacrées. C’est qu’il s’agirait de ne pas fâcher son lectorat, celui qui achète encore des magazines et s’offre à Noel le dernier coffret Deep Purple sorti, quel heureux hasard, juste avant les fêtes.
Alors oui, le nouvel album des Rolling Stones est un événement (comme peut l’être la sortie d’un nouveau film de Francis Ford Coppola, pour citer un autre artiste qui aurait du prendre sa retraite plus tôt), mais cessons de nous mentir à nous mêmes : il n’apporte rien d’essentiel au corpus du groupe. A vrai dire on s’en ficherait si le groupe ne se débattait pas, durant les 48 pénibles minutes de l’album, pour nous faire croire qu’il était encore pertinent. Car telle est l’obsession de Mick depuis le milieu des années 70 : ne pas être ringard. Rester jeune à tout prix, faire des gosses à 80 balais pour montrer qu’on bande toujours, faire comprendre à la jeunesse qui est vraiment le patron.
Le seul problème, c’est que les Stones en 2023 tournent au viagra musical. On autotune la voix qui n’arrive plus à monter, on recrute le producteur à la mode Andy Watt (qui a bossé avec Justin Bieber et Miley Cirus avant de produire les récents catastrophiques albums d’Ozzy Osbourne et Iggy Pop) qui vient co-écrire trois morceaux. On fait appel à des vieux copains pour vendre du rêve : Bill Wyman vient faire coucou, Paul McCartney aussi. Elton John, Lady Gaga et Stevie Wonder sont au générique. Tout ça serait très fun si ce défilé de stars ne servait de cache misère à une écriture en berne. Sont-ce vraiment les mêmes personnes qui ont écrit “Jumping Jack Flash” et “Whole Wide World” ? Alors évidemment le groupe, malin, joue à fond la carte des clins d’œil. On retrouve l’essence des Stones d’antan ça et là, du riff de “Angry”, cousin de celui de “Start Me Up”, aux ballades qui tentent de tirer sur la même corde sensible que “Wild Horses” ou “Can’t Always Get What You Want” .
Tout cela concourt à un disque plat, sans vie, que les fans hardcore (catégorie 1) ont accueilli comme une réussite éclatante. En réalité, trouver des qualités à cet album, c’est un peu comme recroiser son amour de lycée cinquante ans après et lui dire “T’as pas changé“. C’est un mélange de nostalgie, de mauvaise foi, et de sincérité distordue par son propre regard qui a changé. On pardonne ceux qui pensent être sincères quand ils disent apprécier cet album, mais on les invite à sortir de chez eux et d’aller voir la musique où elle se joue. Dans les bars, les salles de concerts, partout en France des jeunes groupes français et étrangers tentent de poursuivre l’idéal rock’n’roll incarné à une époque par les Rolling Stones, et n’ont pas de temps à perdre avec leur dernier album. Nous non plus.
Bref, le nouveau Stones est naze, une fois de plus. Ce n’est pas si grave, mais il fallait le dire.
Tracklisting
- Angry
- Get Close
- Depending On You
- Bite My Head Off
- Whole Wide World
- Dreamy Skies
- Mess It Up
- Live by the Sword
- Driving Me Too Hard
- Tell Me Straight
- Sweet Sounds of Heaven
- Rolling Stone Blues
Vidéos
“Angry”
“Mess It Up”