(enregistrements originaux: 1930)
Skip James est un personnage unique dans l’histoire du Blues. Né le 21 juin 1902 dans le delta du Mississippi Nehemiah Curtis James, il est considéré à juste titre comme un des archétypes du bluesman, à la vie dissolue et au parcours chaotique, et dont la musique traverse le temps sans jamais perdre sa pertinence. Skip James tente d’exorciser ses démons et de transcender la douleur de sa condition en enregistrant des morceaux qui ne sacrifient en rien aux modes ou aux styles appréciés alors.
De ses jeunes années, on retient souvent que Skip James a commencé à jouer de l’orgue à l’adolescence, qu’il a occupé divers emplois manuels (notamment dans des chantiers), et produit du whisky de contrebande. En 1930, un producteur de Paramount l’emmène dans le Wisconsin pour enregistrer ses morceaux. La légende veut que Skip James ait enregistré 26 pistes, mais jusqu’à présent, seules 18 chansons nous sont parvenues. Celles-ci ont été regroupées par différents labels sous divers noms, depuis la compilation réalisée par YAZOO dès 1986.
Ces pistes montrent un artiste habité au style très peu conventionnel : sa voix très haute (qui s’échappe parfois en falsetto) est accompagné par un prodigieux jeu de guitare en finger-picking, ou au piano. Les spécialistes s’interrogent encore sur le style de James : était-il le dernier représentant d’un style musical disparu, ou a-t-il créé seul tout un univers musical ? Quelle que soit la réponse, Skip James eut une influence prépondérante sur Robert Johnson, dont le style et la gloire (posthume) doivent beaucoup aux enregistrements réalisés par James. L’écoute de Skip James ne peut pas laisser indifférent ; l’impudeur – mais surtout l’honnêteté – avec lesquelles il interprète ses chansons sont bouleversantes, et renvoient chacun à ses propres douleurs. « Cypress grove blues » est un de ces morceaux qui transforment.
Parmi les autres morceaux éternels gravés par Skip James en 1931, les plus connus sont les intouchables « Devil got my woman » et « Hard Time Killing Floor Blues », deux chansons extraordinaires et terriblement personnelles (une reprise de la seconde a par ailleurs été utilisée dans la B.O. du film des frères Coen, O’brother, Where Art Thou ?). Les enregistrements de la Library of Congress renferment de nombreux autres trésors, comme le « 22-20 blues » i, qui a servi à Robert Johnson quelques années plus tard pour écrire ‘son’ « 30-20 blues ». « I’m so glad », un morceau où James donne la pleine mesure de son talent de guitariste, et sur lequel il livre aussi une performance vocale surprenante, fut reprise par Eric Clapton (avec Cream). Le guitariste anglais offrait ainsi un court moment de gloire à un artiste trop personnel pour atteindre les foules. Beck, en 1994, a lui aussi rendu hommage à Skip James, en enregistrant une version de « Jesus is a mighty good leader », sur One Foot in the grave.
Après avoir enregistré ces chansons (qui ne rencontrèrent pas le succès), Skip James disparut presque totalement. Il faudrait attendre 1964 et le blues revival pour que sa musique parvienne à une nouvelle génération d’auditeurs, et pour qu’il enregistre à nouveauii. Une nouvelle fois, son style était trop personnel et inattendu pour lui valoir gloire et fortune… A sa mort, en octobre 1969, une souscription a été nécessaire pour payer ses obsèques.
Liste des chansons :
- Devil got my woman *
- Cypress grove blues *
- Little cow and half is gone
- Hard time killing floor blues *
- Drunken spree
- Cherry ball blues
- Jesus is a mighty good leader *
- Illinois blues *
- How long Buck *
- Four o’clock blues
- 22-20 blues *
- Hard luck child *
- If you haven’t any hay get down on the road *
- Be ready when He comes
- Yola my blues away
- I’m so glad *
- What am I to do blues
- Special rider blues *
L’album s’écoute sur Deezer : www.deezer.com/fr/#music/skip-james/complete-early-recordings-526536
Extrait :
“Devil Got My Woman”
i The 22-20s, l’extraordinaire (mais éphémère) groupe britannique de Martin Trimble, avait choisi son nom en hommage à ce morceau de Skip James. On espère revoir ce groupe sortir un nouveau disque sans avoir à attendre 33 ans, comme cela a été le cas pour James.
ii Des enregistrements réalisés par Skip James après 1964, on conseillera particulièrement Today ! et Devil got my woman, sortis par le label Vanguard.