(Easy Eye Sound / Dead Oceans 2021)
Depuis quelques années, l’auteur de ces lignes a une théorie : c’est dans les batteurs qu’on fait les meilleurs musiciens. Phil Collins, déjà, ah. Mais aussi Jack White, Ty Segall, Kevin Parker… Les exemples d’artistes ayant appris la musique derrière des fûts avant de devenir de talentueux·ses multi-instrumentistes sont nombreux. C’est aussi le cas d’Aaron Frazer, qui s’est d’abord fait connaître au sein de Durand Jones and the Indications, excellent groupe de soul dans lequel il chante occasionnellement, mais occupe surtout le rôle de batteur.
En 2019, à l’occasion d’un concert du groupe, Dan Auerbach le remarque et, charmé par son chant, lui propose de venir enregistrer un projet solo dans son studio Easy Eye à Nashville, où il a déjà enregistré plusieurs artistes qui nous sont chers (Sonny Smith, Shannon Shaw en solo et avec ses Clams, Robert Finley, Jimmy Duck Holmes, etc.). Auerbach a déjà prouvé maintes et maintes fois qu’il était capable de faire ressortir le meilleur des musicien·nes avec lesquel·les il collabore : qu’il s’agisse de pop, de soul ou de blues, il réussit régulièrement à fournir à ses collaborateur·rices un son à la patine vintage, qui met bien en valeur les morceaux produits et donne souvent naissance à des albums cohérents, originaux et attachants.
Ce fut à nouveau le cas avec Introducing…, album de soul tirant sérieusement vers la pop grâce auquel nous avons pu découvrir les multiples talents d’Aaron Frazer. Soulignons d’emblée la qualité des compositions : écrites par Frazer et Auerbach (parfois complétés par un troisième larron, généralement l’un des musiciens de studio qui les accompagne), elles brillent par leur efficacité. La plupart des mélodies sont immédiatement mémorables, ce qui n’est pas courant dans un tel registre où l’énergie et l’intensité priment souvent.
La qualité des arrangements est elle aussi remarquable. La liste des musiciens ayant participé aux sessions d’enregistrement donne une idée du soin qui leur a été apporté : pas moins de 19 personnes sont venues apporter leur pierre à l’édifice. C’est l’un des avantages de travailler avec Auerbach, dont la longévité dans l’industrie musicale et le crédit qu’il a obtenu lui permet de travailler avec d’excellents session men, formés à la rude école des studios de Nashville. Le leader des Black Keys occupe aussi le poste de guitariste, fournissant au disque une admirable quantité de riffs efficaces.
Notre insistance sur les apports de Dan Auerbach ne doit toutefois pas occulter l’atout principal du disque : Aaron Frazer lui-même, dont la personnalité et les qualités resplendissent ici. Son chant, tout d’abord, se distingue par son falsetto – choix peu courant et assumé par le principal intéressé, qui évoque quelques grands chanteurs soul des années 60/70 (Smokey Robinson, Curtis Mayfield, Al Green…). Ces derniers, dont on retrouve ici la douceur si plaisante, semblent d’ailleurs servir de point de référence aux deux maîtres d’œuvre. (Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Durand Jones and the Indications fait partie du label Colemine Records, véritable mine d’or pour les amateur·rices de soul et dont les groupes partagent cette même ascendance.) La grande aisance vocale de Frazer lui permet de varier les plaisirs mélodiques, mais aussi de s’inspirer de la diction hip hop pour dynamiser davantage certains morceaux. C’est ici que se fait particulièrement ressentir sa maîtrise du rythme et que notre brillante théorie sur les batteurs se voit confirmée.
Par tous les aspects que nous venons d’énumérer, Frazer et Auerbach évitent savamment de sombrer dans le pastiche de leurs modèles, et confèrent à l’ensemble une efficacité redoutable et une certaine modernité. Ce premier album a rencontré un succès relativement surprenant, au point qu’on a été surpris, à plus d’une reprise, d’entendre certains de ses titres dans des publicités françaises (ce qui, on en conviendra, n’est pas forcément gage de qualité, mais témoigne en l’occurrence du caractère accrocheur de ce qui est proposé). Depuis la publication d’Introducing…, Frazer en a publié un second (Into The Blue), sans Auerbach cette fois et dans une veine légèrement différente mais tout aussi plaisante. Il continue aussi de jouer de la batterie avec Durand Jones and the Indications, dans lequel il a pris un peu plus de place pour notre plus grand plaisir. On vous encourage vivement à aller découvrir tout cela au plus vite.
Tracklisting
- You Don’t Want To Be My Baby
- If I Got It (Your Love Brought It)
- Can’t Leave It Alone
- Bad News
- Have Mercy
- Done Lyin’
- Lover Girl
- Ride With Me
- Girl On The Phone
- Love Is
- Over You
- Learnin’ On Your Everlasting Love
Vidéos :
“Over You”
“Bad News”
KEXP sessions













