(Brothers / Reprise 1971)
Nombreux sont ceux qui considèrent Pet Sounds des Beach Boys comme le meilleur album de tous les temps. On ne partage pas cet avis (voir ici) mais ce n’est pas pourtant qu’on a une dent contre la fratrie d’Hawthorne. Lorsqu’on parle de Pet Sounds, il est souvent amusant de constater que parmi ceux qui s’offusquent quand on critique la vache sacrée symphonique de Brian Wilson, nombre d’entre eux connaissent très mal la discographie du groupe. On les comprend : entre 1962 et 1966, sous l’impulsion de leur leader à demi-sourd, les Beach Boys ont sorti plusieurs albums par an, essentiellement emplis de surf music souvent plaisante, parfois fatigante.
Après la dépression de Wilson successive au non-aboutissement de Smile en 1967, la qualité des albums a souvent été moyenne, partagée entre morceaux géniaux issus du projet perdu et chansons quelconques des autres membres du groupe. De tous ces albums formés de bric et de broc, Surf’s Up est sans doute le meilleur. Plus équilibré que Smiley Smile (qui possède quelques tubes comme “Good Vibrations” et “Heroes And Villains” mais aussi quelques passages incompréhensibles), plus posé que Wild Honey (où Mike Love en fait des tonnes pour relancer le groupe) ou l’indigeste Sunflower, cet album montre une qualité d’écriture et une variété dans les chansons qu’aucun autre album tardif des Beach Boys ne possède.
L’album est sorti en 1971, soit quatre années après l’implosion de Brian Wilson. Désormais débarrassé de son identité surf et de son image avant-gardiste, le groupe s’est en outre fait dépasser par la génération Woodstock. Après 10 ans de carrière, le groupe fait désormais partie de l’establishment, d’une certaine aristocratie du rock américain qui ne fait plus recette auprès des jeunes. Les jeunes gens bien sous tous rapports sont devenus des babas barbus bedonnants et fatigués. Malgré tout, après des tâtonnements et quelques errances, le groupe a enfin retrouvé un semblant d’équilibre. Comme si tous s’étaient rendus compte du besoin urgent de relancer la machine, chacun des membres contribue à l’écriture et à la composition et, incroyablement, la mayonnaise prend. C’est une conjonction de bons morceaux provenant de divers membres du groupe qui fait de ce Surf’s Up un album remarquable.
Dès les premières notes de “Don’t Go Near The Water” qui ouvre le disque, on sent le groupe prêt à revenir à un certain classicisme, mais aussi décidé à surprendre l’auditeur. En témoignent les bruitages étranges qui peuplent le morceau, ce moog qui vient enrichir l’arrière-plan, et ce final où mandoline et harmonies s’entremêlent. Décidés à reprendre contact avec leur génération, les Beach Boys tentent avec cet album de se lancer dans le commentaire politique. Une idée soufflée par leur producteur Jack Rieley afin de refaire surface après le désastre commercial de Sunflower. D’où le texte un brin moralisateur de “Don’t Go Neat The Water” et”Student’s Demonstration Time”.
Carl Wilson s’affirme enfin comme compositeur avec des ballades un peu pataudes mais qui collent bien à l’esprit du groupe, “Long Promised Road” et “Feel Flows”, sucrées, presque mièvres, mais indubitablement Beach Boys. Al Jardine compose la douce “Take A Load Off Your Feet” à la mélodie limpide, on entend même sur cet album les Beach Boys chanter un blues de façon convaincante (“Student’s Demonstration Time”, une variation sur “Riot In Cell Block #9” de Jerry Leiber et Mike Stoller). Bruce Johnston s’y met aussi et propose avec “Disney Girls (1957)” une ballade easy-listening agréable mais la grosse surprise provient encore d’Al Jardine qui écrit et chante un des grands moments de cet album, la chanson “Lookin’ At Tomorrow (A Welfare Song)”, d’une délicatesse incroyable, peut-être le meilleur morceau des Beach Boys non écrit par Brian Wilson.
Comme souvent chez les Beach Boys d’après 1967, l’album s’achève par plusieurs morceaux exhumés de Smile. Trois morceaux bouleversants : “A Day In The Life Of A Tree”, “‘Till I Die” et “Surf’s Up”. Il y a dans la simplicité et la mélancolie de ces morceaux une beauté que tous les solos de trompette de Pet Sounds n’atteindront jamais. “Surf Is Up”, qu’on a récemment pu redécouvrir dans sa version initiale grâce à la sortie des Smile Sessions était alors un morceau fantasmé, qu’on imaginait perdu à jamais. Lorsque Carl Wilson décida de compléter le morceau pour l’inclure dans l’album, cela provoqua un événement inattendu, miraculeux presque : le retour de son frère Brian. Son apparition à la fin des sessions confère à l’album une aura encore plus mystique et évoque l’apparition de Syd Barrett au cœur de l’enregistrement de Wish You Were Here. A une différence près : Brian Wilson décida de s’investir dans l’album et compléta le morceau-titre en y incluant le passage “Child Is The Father Of The Man” pour un résultat magnifique. La fin d’album, qui lui appartient complètement, figure parmi ce qu’il s’est produit de meilleur dans les années 70 en termes de chansons pop.
Alors bien sûr cet album est incohérent, multiple, déséquilibré (la face B est nettemenet meilleure que la A) mais dans la discographie du groupe, nul album ne synthétise aussi bien le chaos et la brillance qui ont entouré les Beach Boys durant les cinq années après la débacle de Smile. Pour ses défauts autant que pour ses immenses qualités, Surf’s Up est l’album le plus frappant des Beach Boys. Pour sa collection de chansons touchantes et mélancoliques, on le préfère à l’intouchable Pet Sounds, dont les flon-flons et le wall of sound ont très mal vieilli.
Tracklisting :
- Don’t Go Near The Water *
- Long Promised Road
- Take A Load Off Your Feet
- Disney Girls (1957)
- Student Demonstration Time
- Feel Flows
- Lookin’ At Tomorrow (A Welfare Song) *
- A Day in the Life of a Tree *
- ‘Til I Die *
- Surf’s Up *
Vidéos :
“Surf’s Up”
Vinyle :