(2010 ; Mute records)
Au moment où les premiers bilans des groupes de la première décennie du XXIème siècle fleurissent, le groupe du génial Angus Andrew livre son cinquième album, pour lequel le parcours atypique fait de nombreuses délocalisations d’un album à un autre semble avoir pris fin : les Liars affirment avoir écrit et enregistré l’intégralité de Sisterworld à Los Angeles, la ville d’origine du groupe.
En une dizaine d’années et à travers leurs quatre premiers LP1 (et une poignée d’EP), les Liars se sont bâti une discographie irréprochable. Pour son retour, annoncé depuis le début du mois de novembre 2009, le groupe a ménagé ses effets : annonce officielle, création d’un site (http://thesisterworld.com), sortie du premier single (« Scissor »,au mois de décembre), annonce de la tournée, puis de la collaboration avec de nombreux artistes pour une version alternative de l’album, avant la sortie du disque, en mars 2010.
Le « projet Sisterworld » se concentre précisément sur la ville de Los Angeles : un communiqué officiel du groupe annonçait à l’automne dernier la démarche des Liars pour cet album : « Nous sommes intéressés par les espaces alternatifs créés par les gens dans le but de conserver leur identité dans une ville comme Los Angeles… »2 Tout un programme, qu’aucun autre groupe contemporain ne paraît en mesure de lancer et de mener à bien avec un tel brio. Sur cet album, plus encore que sur les précédents, l’approche des Liars est délibérément tragique : le groupe regarde la réalité en face, sans chercher à la travestir : cet album, tout oppressant qu’il soit, n’est pas pessimiste : il n’y a pas de désespoir ici, malgré la noirceur qui caractérise la plupart des pistes de Sisterworld. Les ambiances qui se dégagent ici semblent synthétiser les quatre premiers albums du groupe : le son, qui a toujours été la principale obsession des Liars, utilise des rythmiques et des riffs de guitare dignes de leur premier album (« Scarecrows on a killer slant », « The Overachievers »), se mâtine d’angoissantes descentes de violons (« Here comes all the people ») et d’une utilisation prédominante du violoncelle (en particulier sur l’extraordinaire « No Barrier Fun », au rythme syncopé parfaitement maîtrisé).
Comme c’était prévisible, la notion de paranoïa urbaine est largement traitée, tout comme les universelles pulsions de mort : « Why did you pass the bum on the street (…) Why did you shoot the man with the gun? ’Cos he bothered you ! » sur le morceau « Scarecrows on a killer slant », qui reprend un riff de guitare qui revient comme une obsession, où le travail sur les chœurs et l’utilisation choisie du jeu de basse sont magnifiques. Autre élément important : les Liars lâchent à nouveau la bride à leurs envies de krautrock. Là où les groupes se perdent en pistes interminables et inutiles, les Liars savent construire des morceaux complexes et maîtrisés : « Drip » et « Proud Evolution ».
Le groupe sait aussi relâcher la tension créée par sa musique à l’aide de textes pertinents porteurs d’images percutantes, notamment sur « The Overachievers », où Angus chante les aventures pathétiques d’un couple éco-responsable : « We drove a bio-car / ’cos we all love the earth / It didn’t get us far / and always sounded like a walrus with ulcers »… Le voyage se termine en forêt, mais en aucun cas pour une excursion ou un pique-nique dominical. Ailleurs, alors qu’Angus Andrew entame une balade (« I still can see an outside world »), et que le rythme semble enfin vouloir se détendre, la chanson se transforme et l’ambiance oppressante revient. En fin d’album, l’orchestration grandiloquente de « Goodnight Everything » évoque par moments Atom Heart Mother de Pink Floyd, et offre une nouvelle perspective au disque sans cependant se perdre dans des envolées interminables. Le disque s’achève sur « Too Much too much », une piste hypnotique qui reprend une phrase musicale employée sur « Here comes all the people ».
Sisterworld est une incontestable réussite : les morceaux alternent entre ceux qui sont d’une efficacité immédiate et ceux qui demandent écoute plus exigeante, sans jamais perdre en qualité. Plus facile d’accès que They were wrong so we drowned et Drum’s not dead, ce nouvel album est meilleur que le précédent Liars. Pour son cinquième album, le groupe poursuit dans son parcours avec inventivité et pertinence, et réalise un nouveau tour de force.
Liste des chansons :
- Scissor*
- No barrier fun*
- Here comes all the people
- Drip
- Scarecrows on a killer slant*
- I still can see an outside world
- Proud evolution*
- Drop dead
- The overachievers*
- Goodnight everything*
- Too much, too much
Vidéo :
“Scissors”
- They us all in a trench and stuck a monument on top (2001), They were wrong so we drowned (2004), Drum’s not dead (2005), Liars (2007).
- Pour la version originale : “We’re interested in the alternate spaces people create in order to maintain identity in a city like L.A.” (Si vous n’êtes pas satisfait de la traduction, tant pis.)
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