L’annonce de la parution d’un nouvel album des Flaming Lips provoque toujours au sein de la rédaction de PlanetGong le même sentiment : une joie amusée, une curiosité quant aux nouvelles trouvailles de Wayne Coyne et de ses acolytes.
On n’attend pas des Flaming Lips qu’ils enregistrent la meilleure chanson de tous les temps, mais on sait en revanche que le groupe va à coup sûr livrer quelques morceaux de haute facture, et sortir quelques nouvelles extravagances dont il a le secret. Lorsque l’on a appris que cet album était un double LP et allait proposer dix-huit pistes, cette curiosité s’est muée en enthousiasme, et la crainte de voir les Flaming Lips changer de cap s’est définitivement envolée.
C’est un euphémisme d’affirmer que depuis de nombreuses années, le groupe occupe une singulière sur la scène musicale internationale : le groupe a connu son plus grand succès à la sortie de Yoshimi Battles The Pink Robots, en 2002. Après la sortie de cet album, le groupe avait accompagné Beck sur scène pendant une de ses tournées, puis livré des concerts mémorables, à base de costumes en peluche et de chant au mégaphone. Côté musique, le groupe n’aurait pas pu être plus différent de la scène pop-rock du début des années 2000 ; les Flaming Lips ont toujours joyeusement assumé leurs spécificités. L’écoute de leurs albums demande des conditions particulières ; puisque certains morceaux nécessitent plusieurs écoutes avant de livrer leurs secrets. Ainsi, au cœur de chaque disque se trouvent des pistes dont l’intérêt principal semble être la création d’un espace sonore spécifique, et le fait que ces morceaux nuisent parfois au tempo de l’album n’a jamais empêché le groupe d’en (ab)user.
Pour que les choses soient claires, autant reconnaître dès à présent qu’Embryonic est d’une qualité largement au-dessus de nos attentes. Le douzième album du groupe est peut-être le meilleur, après vingt-cinq ans de carrière.
Pour réaliser leur ambitieux projet, les Flaming Lips ont invité un mathématicien germanophone, Thorsten Wörmann, Karen O (la chanteuse des Yeah Yeah Yeahs) et les membres de MGMT à participer à cet album (sur « I can be a frog », « Gemini Serynges » et « Watching the planets » pour Karen O, sur « Worm Mountain » pour MGMT). Embryonic a conservé la douce mélancolie qui régnait sur certains morceaux des deux derniers albums du groupe, mais est riche d’éléments nouveaux qui transfigurent les chansons. L’album sur « Convinced of the Hex », une des meilleures pistes de l’année 2009, à la rythmique krautrock qui rappelle CAN. Le déluge de bruitages divers parachève l’ensemble : après trois minutes, tout auditeur pourvu d’une paire d’oreilles en bon fonctionnement est déjà dans un état proche de la transe hypnotique.
Embryonic est un disque riche des nombreuses facettes des Flaming Lips : les chansons traduisent cette incroyable diversité, depuis les quelques ballades irréelles (« Evil », « If », « The Impulse ») et les impromptus instrumentaux qui s’étirent en de longues jams (comme « Aquarius Sabotage », la prodigieuse « Sagittarius Silver Announcement », ainsi que la plupart des pistes dont les titres référencent les signes du Zodiaque), jusqu’à la plaisanterie musicale aux bruitages enfantins d’« I can be a frog ». L’album se développe dans toutes ces directions avec un bonheur communicatif et une pertinence jamais démentie. Régulièrement, des pistes dotées d’une basse démentielle apparaissent, qui contiennent aussi des mélodies imparables ; hormis « Embryonic », les Flaming Lips jouent ici quelques-uns de leurs meilleurs morceaux : l’hypnotique « See the Leaves », « Powerless » (qui s’étire sur près de sept minutes), ou encore « The Ego’s Last Stand », qui clôt le premier des deux disques de l’album. Le son de la basse est très largement distordu, ce qui renforce l’impression de déséquilibre contrôlé présent sur l’ensemble de l’album. Les Flaming Lips se permettent un clin d’œil au Pink Floyd[1] avec l’extraordinaire et délirant « Silver Trembling Hands », un morceau de quatre minutes psychédéliques parfaitement maîtrisées.
L’album avait débuté par un chef d’œuvre avec « Convinced of the Hex », il s’achève de la même façon avec « Watching the Planets », sur lequel le groupe livre tout son potentiel : bruitages et arrangements en tous genres s’organisent autour d’un nouveau rythme obsédant, sans que l’importance du chant ne soit jamais remise en cause. Les pistes marquantes se bousculent les unes aux autres ; cet album mérite d’être découvert peu à peu et écouté à de nombreuses reprises, chaque nouvelle écoute le bonifiant davantage. Résultat d’un projet démesuré, Embryonic apparaît aujourd’hui comme le point d’orgue de la carrière des Flaming Lips.
Liste des chansons :
(disque 1)
(disque 2)
- I can be a frog*
- Sagittarius Silver Announcement*
- Worm Mountain
- Scorpio Sword
- The impulse
- Silver trembling hands*
- Virgo self-esteem broadcast
- Watching the Planets*
Vidéos :
“Convinced Of The Hex”
[1] En plus de l’extraordinaire Embryonic, les Flaming Lips ont ré-enregistré l’intégralité de The Dark Side of The Moon. Le projet semblait curieux, mais à l’écoute du disque, il apparaît clairement que le groupe de Wayne Coyne a réussi son pari.