THE CORAL – Coral Island

(Modern Sky UK / Run On 2021)

Pour qui suivait de près The Coral l’an dernier, il était évident que quelque chose se tramait. Au plus fort du confinement, le groupe avait publié un live et une compilation de faces B attendue de longue date, tandis que James Skelly, depuis son canapé, reprenait à la guitare acoustique quelques classiques de son catalogue. Comme si nos liverpuldiens favoris, après maintes turbulences, dressaient le bilan de près de 20 ans de carrière.

Quelques mois plus tard, une mystérieuse annonce paraissait dans un journal local de Liverpool : “WELCOME TO CORAL ISLAND – Opens 7 PM January 28th”. Puis les habitants de la ville ont retrouvé, ici et là, des stickers annonçant l’ouverture prochaine de cette fameuse Coral Island… Avec ces messages sibyllins et les photos de fête foraine fantôme qu’il a ensuite postées sur les réseaux sociaux, le groupe lançait un jeu de piste à l’image de son album à venir : ludique, nimbé de mystère, profondément ancré dans sa cité portuaire d’origine et brouillant constamment la frontière entre le réel et la fiction.

Tous les ingrédients, en somme, pour une grande oeuvre psychédélique et barrée comme The Coral n’en avaient plus conçu depuis Nightfreak and the Sons of Becker (qui, pour mémoire, avait pour trame scénaristique la vie horrifique des fils illégitimes de Boris Becker). A l’époque, le NME mettait le groupe en couverture, le surnommait “the So Stoned Crew” et titrait que “tout le monde voulait en être”. Mais 15 ans plus tard, The Coral ne sont plus tout à fait cette bande de joyeux branleurs qui passaient leurs journées à regarder des films de série Z en VHS sous acide et consacraient ensuite leurs week-ends aux tournages de courts-métrages délirants. Ils sont aujourd’hui des quarantenaires dont la carrière a connu quelques hauts et beaucoup de bas (le départ de Bill Ryder-Jones ou le break de 6 ans entre Butterfly House et Distance Inbetween notamment, tout deux causés par des épisodes dépressifs). Leurs albums récents misaient davantage sur une forme d’orfèvrerie classique et sage que sur l’énergie débridée et déjantée de leurs débuts, à tel point que le dernier d’entre eux avait déçu quelques fans de la première heure avec ses contours soft-rock et ses sons de synthétiseur baveux. Qu’allait-il en être de ce Coral Island ?

Dès la première écoute du disque (qu’après des mois de teasing obscène, on a ouvert en arrachant le cello goulûment), on remarque que The Coral, en replaçant la mélodie au centre des débats, renoue avec le classicisme qui fait partie de son ADN depuis ses débuts. Depuis toujours, c’est le point fort de Skelly et sa bande, ce qui les distingue de la concurrence et les place bien au dessus de la mêlée. Mais cette fois-ci, ils ont en plus décidé de jouer la carte de l’album-concept, auquel la voix du grand-père des frères Skelly, Ian Murray, donne un fil conducteur. Tout au long des deux disques, l’aïeul présente la Coral Island, son ambiance de fête foraine et les bars louches dans lesquels officie un groupe fantôme, avatar de The Coral.

L’album, clairement conçu pour être écouté en vinyle, contient deux parties distinctes. La première, “Welcome To Coral Island”, est un disque de pop anglaise de tradition. Direct, efficace, sans aspérité mais absolument remarquable. Les mélodies respirent, s’enchaînent sans effort. Cette immédiateté, recherchée par le groupe, est censée faire allusion à celle des chansons de jukebox et à l’insouciance des fêtes foraines en été, quand l’île déborde d’activité.

D’un clignement d’oeil on arrive au deuxième disque dans lequel le narrateur commence à se montrer de plus en plus bavard et les chansons de plus en plus tordues. “The Ghosts Of Coral Island” est le disque psychédélique de la paire. Un voyage fantastique et immersif, peuplé de personnages solitaires (la station balnéaire s’est vidée après que “l’automne est arrivé” à la fin du disque 1), lors duquel le groupe s’amuse à distordre les sons discrètement “pour donner la même impression que quand on regarde un vieux livre de photos”. C’est ce disque, dévoilant la face la plus déviante de The Coral après plusieurs années à l’avoir cachée, qui achève de nous convaincre que le groupe a bel et bien retrouvé le feu sacré d’autrefois.

On peut alors jouer à retrouver les références musicales et thématiques – un jeu auquel nous invite le narrateur lui-même en ponctuant l’album de citations. Impossible, en premier lieu, de ne pas penser aux Kinks. The Coral reprend ici le format du double album et la vision fantasmée d’une Angleterre disparue propre à The Village Green Preservation Society, brode une chanson sur le même thème que “Picture Book” avec “Old Photographs” ou réinvente la ligne de basse de “Sunny Afternoon” avec “Vacancy”. Sont également en ligne de mire les Small Faces d’Ogdens’ Nut Gone Flake et leur narrateur goguenard à l’accent britannique prononcé. Joe Meek, cité à longueur d’interviews par le groupe, fait aussi partie des influences phares de l’album. Les glorieux aînés des La’s et d’Echo and the Bunnymen, enfin, sont invoqués au détour d’un son de guitare ou d’une ligne mélodique.

Mais c’est avant tout à la discographie de The Coral qu’on pense. Tout y passe : les rhythm ‘n’ blues tordus de The Coral, les cavalcades psychédéliques de leurs faces B (“Faceless Angels”, “Watch You Disappear”), les vignettes acoustiques de Magic and Medicine (“Autumn Has Come”, “Old Photographs”), les ballades folk-rock de Roots & Echoes (“Change Your Mind”), les harmonies éthérées de Butterfly House (“Mist On the River”, “The Game She Plays”), les rythmes conquérants de Distance Inbetween (“Lover Undiscovered”), l’immédiateté mélodique de Move Through The Dawn (“My Best Friend”), les sea shanties de Serpent Power (“The Golden Age”)…

L’astuce du groupe consiste à inscrire cette revue de ses faits d’armes passés au sein de son concept : en se présentant à travers le narrateur comme un orchestre de vieux briscards démodés qui font trembler les tables de la Finniland Inn, la sinistre auberge des bas quartiers de la Coral Island, The Coral donne sa cohérence au projet avec un humour réjouissant teinté d’un brin de mélancolie. “James Skelly pourrait écrire des chansons à la Coldplay toute la journée, mais voilà, il y a ces accords mineurs… et The Coral a toujours su faire un peu de place à la noirceur au milieu de ses mélodies”, écrit Keith Jopling en introduction à une longue (et passionnante) interview du chanteur. La troupe applique ici la même recette à son concept, à la fois joyeusement foutraque et laissant percevoir une vague inquiétude quand à la capacité du groupe à se renouveler. Et comme dans ses chansons, c’est cette délicatesse qui finit par emporter notre adhésion inconditionnelle…

Remarquons enfin que James Skelly, pour la première fois dans l’histoire du groupe, ne chante pas tous les morceaux du disque. Ian Skelly prend en effet le micro sur “Golden Age”, Nick Power sur “Strange Illusions” et Paul Molloy, le petit dernier de la bande, sur “The Calico Girl”. Trois morceaux qui s’intègrent parfaitement au canon Coralien en même temps qu’ils en élargissent la palette sonore. Ce détail n’en est pas tout fait un : il démontre que le groupe a retrouvé un point d’équilibre, qu’il est plus uni et soudé qu’il ne l’a été depuis longtemps. Ses membres n’ont d’ailleurs jamais paru si enthousiastes, comme l’indique la quantité industrielle de produits annexes au disque qui sont parus : plusieurs EPs1, un film, une carte de l’île, un livre… qui viennent tous enrichir le petit monde insulaire de Coral Island. A travers ce “world-building” roboratif et sa dimension transmédia, The Coral soulignent à quel point ils sont des geeks absolus de la culture rock ‘n’ roll, complètement passionnés au point de créer des mondes parallèles dans lesquels ils peuvent donner vie à tous leurs fantasmes, rejouer toutes leurs peines et apaiser leurs regrets.

Cet enthousiasme retrouvé semble avoir payé : les critiques britanniques sont dithyrambiques, la plupart d’entre elles s’accordent même à dire que le groupe a produit là le meilleur disque de sa carrière. Les ventes du disque sont quant à elles les meilleures depuis celles de Magic and Medicine, le disque s’étant hissé au top 2 des charts anglais – chose inimaginable il y a encore trois ans. Ce retour au sommet, après les années de vache maigre que le groupe a vécues, n’en finit pas de nous réjouir…

Tracklisting

Disque 1 – Welcome to Coral Island :

  1. Welcome To Coral Island
  2. Lover Undiscovered
  3. Change Your Mind
  4. Mist On The River
  5. Pavillions Of The Mind
  6. Vacancy
  7. My Best Friend
  8. Arcade Hallucinations
  9. The Game She Plays
  10. Autumn Has Come
  11. The End Of The Pier

Disque 2 – The Ghosts of Coral Island :

  1. The Ghost Of Coral Island
  2. Golden Age
  3. Faceless Angel
  4. The Great Lafayette
  5. Strange Illusions
  6. Summertime
  7. Telepathic Waltz
  8. Old Photographs
  9. Watch You Disappear
  10. Late Nights At The Borders
  11. Land Of The Lost
  12. The Calico Girl
  13. The Last Entertainer

1 Le Picture House Disaster EP, un EP de reprises acoustiques, et un morceau inédit offert avec l’achat du livre de Nick Power.

Télécharger la carte et la visite guidée offerte par Nick Power dans les pages du magazine Shindig! n°113 au format pdf.

Vidéos

“Welcome To Coral Island – A Film by The Coral”

“The Great Muriarty”, une vidéo dans laquelle le groupe présente le narrateur du disque

“Vacancy”

“Faceless Angel”

 

Vinyle

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2 Commentaires
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Peter Mermoz
Invité
Peter Mermoz
14 août 2021 11 h 18 min

Enthousiasme hautement communicatif : j’ai acquis l’objet. Belle chronique, je vous félicite Môssieur MC5.

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