Si son maître et ami Little Richard a toujours été tiraillé entre le ministère du Seigneur et sa vocation pour le rock’n’roll, le grand Larry Williams, plus séculier, n’a guère balancé entre sa carrière de chanteur et celle de maquereau. Pour le dire en termes plus ornés, son astre n’a pas longtemps lui sur son audience publique. 1957, Specialty confie à ce jeune loup féru de rock’n’roll à paillettes ascendant rythm’n’blues, une mission taillée sur mesure : combler le créneau laissé vacant par ce même Little Richard alors en pleine crise mystique. Larry sort “Short Fat Fannie”, discrète et subtile allusion, et mitraille dans la foulée une belle série de tubes. Plutôt pas mal, à moins de vingt ans, alors que trois mois plus tôt il officiait comme valet et chauffeur pour Lloyd Price (dont il reprit le “Just Because”). 1959: fin du premier acte, l’étincelant chanteur aux interlopes coutumes est condamné à trois ans de prison pour trafic de stupéfiants.
Or, Larry Williams pouvait non seulement se targuer d’une allure certaine – moustache en trait de crayon et atours scintillants – mais aussi d’un fan-club pas exactement banal, rempli de gaillards gourds et prometteurs, nommés par exemple John Lennon, les Animals, Keith Richards… Tout s’imbrique: à la faveur du British Boom, sa carrière brisée va redémarrer. Car ce sacré paon de Williams n’était pas un blanc-bec: “Bonnie Moronie”, “Dizzy Miss Lazy”, “She Said Yeah”, cette théorie de morcifs repris à l’infini, des Beatles à The End et Johnny Winter en passant par les Stones, ça vous dit quelque chose? Ces standards, c’était lui, Larry Williams. Eh, les petits poppeux anglais avaient lors bon goût. Nouveau départ donc au milieu des années 60, et c’est sur cette période, un brin moins connue, que nous insisterons. Passons vite sur son semi-assoupissement des années 70 et son ultime album disco-funk sans écho, à la fin d’une décennie qu’il aurait surtout consacrée à la fréquentation des bas-fonds de L.A. (amenant certains à douter de la version officielle selon laquelle il se serait suicidé à quarante quatre ans, après qu’on l’eut retrouvé avec une balle dans la tête en 1980).
Prenons l’album “The Larry Williams Show” (1965). Ouverture en grande pompe avec le terrible “Slow Down”, instru dansant (“Stormsville Groove”), ballade prenante (“Out Of Tears”), bonnes reprises (“For Your Love”). Les compositions sont peut-être parfois moins percutantes qu’avant, mais son talent intact est valorisé par un groupe idéal. La rythmique est soutenue par l’intense drapé des cuivres et les percussions d’un piano acharné. Ce rock’n’roll calorifique, belle nouveauté, se colore déjà de soul-funk, c’est l’euphorie. Mais l’atout majeur reste la présence transfiguratrice du fameux guitariste lapidaire, funky, et interstellaire Johnny “Guitar” Watson, l’auteur de l’instrumental “Space Guitar” qui avait tant épaté le petit Jimi Hendrix. A l’écoute de ce disque, on mesure l’injustice dont Larry Williams a été victime au même titre que cette grande folle d’Eskew Reeder (alias Esquerita), tous deux snobés aussi bien par l’historiographie des rockeurs que le public rythm’n’blues et traités – bien à tort! – de simples copies de Little Richard. Non, Larry Williams n’atteint pas l’insurpassable hystérie de celui-ci – mais sa voix plus suave, vive et souple, oeuvre dans un autre registre, et il mérite de rester en mémoire bien davantage que pour ses frasques et ses créations de classiques: en tant qu’excellent interprète.
Le saviez-vous ?
“Porté par le sax ténor de Plas Johnson, “Short Fat Fannie” se hisse à la première place du classement r&b de l’époque. Ce titre énumère tous les grands succès de l’époque, de “Heartbreak Hotel” à “Tutti frutti” en passant par “Blueberry Hill”, “Blue Suede Shoes” ou “Hound Dog”! Histoire d’épater la galerie, Williams tourne avec un chimpanzé et un orang-outan déguisés en Short Fat Fannie, qui lui balancent parfois leurs excréments sur scène” (Florent Mazzoleni, Les Racines du Rock)
Vidéos :
“Slow Down”
A écouter :
The Larry Williams Show with Johnny Guitar Watson, 1965