(RCA 2020)
“The New Abnormal”. En ces temps de confinement, le titre choisi par les Strokes pour leur nouvel album paraît évidemment prémonitoire. Dans un monde où une journée ordinaire consiste désormais à imaginer de nouvelles façons de divertir entre deux repas (dont la fréquence augmente un peu plus chaque semaine, tout comme le rythme des apéritifs par écrans interposés), l’anormalité est de mise. Nous n’iront pas jusqu’à dire que les Strokes sont des visionnaires, mais la coïncidence est heureuse.
Ce qui est bien avec les Strokes en 2020, c’est qu’après cinq albums à la qualité décroissante (et un dernier particulièrement abominable), on n’attend absolument plus rien de ce groupe. La surprise ne peut qu’être heureuse, même si les les trois singles parus peu avant l’album n’ont pas soulevé un fol enthousiasme. Allez, on reconnaîtra que le deuxième présenté a failli nous avoir avec sa construction typiquement strokesiennes et cette guitare rythmique martelée sur le refrain. “Bad Decisions” est un morceau agréable, mais assez générique. Surtout, il fonctionne essentiellement de façon pavlovienne sur l’auditeur.
Pourquoi avoir écouté cet album (et le chroniquer) ? N’y a-t-il pas de belles découvertes à partager ou des secrets bien cachés à exhumer ? On ne va pas se mentir : si aujourd’hui on porte encore attention à ce que proposent les Strokes, c’est parce qu’on les a aimés d’amour à l’époque de leur premier album qui a donné un formidable coup de fouet à une planète rock complètement paumée. Is This It a changé la donne pour une génération, qu’on le veuille ou non (si ce débat vous intéresse, on y revient dans cette chronique toute fraîche).
Depuis les Strokes semblent traîner comme une âme en peine les poids des attentes portées sur eux, et n’en ont manifestement plus rien à foutre depuis leur quatrième album. Le duo Angles / Comedown Machine trahissait un groupe désintéressé par son héritage musical, absent de ses propres disques, tandis que les membres du groupes gardaient leurs idées les plus intéressantes pour leurs productions personnelles (The Voidz pour Casablancas, ses disques solo pour Hammond Jr).
Avant toute tentative de critique, rappel d’un point important : pour écouter le disque sereinement et ne pas faire fausse route, il convient de se rappeler un fait essentiel : The Strokes ne sont plus un groupe de rock, soit-il garage ou ‘n’roll. C’est groupe pop à guitares. Pas besoin de faire le snob, de dire que [insérez votre groupe garage-punk préféré] sont bien meilleurs et que les Strokes sont des poseurs bourgeois. Ça fait presque 20 ans que ce malentendu a été réglé et aujourd’hui, les Strokes ne sont plus ce groupe que les jeunes Arctic Monkeys rêvaient d’être. Que certains regrettent certains choix esthétiques est un combat d’arrière-garde qui n’intéresse que des trentenaires nostalgiques. La seule qui compte ici est la qualité des chansons.
Or, c’est bien là le problème : si le disque est globalement agréable, il ne possède aucun classique instantané, aucun morceau dont la première écoute suffit à savoir qu’on va le réécouter encore et encore, bien des années plus tard, comme le furent “Reptilia” ou “Last Nite”. Il y a bien quelques bonnes chansons, comme l’emballante ouverture “The Kids Are Talking” avec ses guitares entêtantes, qui donnent un instant l’illusion que les Strokes sont revenus aux affaires. La suite oscille entre l’acceptable (la délicate “Selfless”) et le repoussant (“Brooklyn Bridge To Chorus”, un peu trop insistante sur les synthés pouet-pouet à notre goût, “Eternal Summer”, à l’esthétique fluo 80s pompière).
Le problème des Strokes ici, c’est qu’il ne font rien dans la demi-mesure. On retrouve sur chaque chanson ce filtre sur la voix de Casablancas, emplie d’auto-tune. Chaque morceau est empli de couches d’effets – parfois jusqu’à l’écoeurement – et les partis-pris esthétiques sont discutables. Même lorsqu’il trousse une jolie mélodie désabusée comme “Ode To the Mets” (dédiée à l’équipe de baseball de Ney York), le groupe vient la gâcher en jouant sur l’emphase plutôt que sur la retenue. Et puis surtout, le disque est totalement dénué d’enthousiasme et d’envie passé ses cinq premières minutes. Le plan crooner désabusé de Casablancas finit par lasser sur la durée de cet album pourtant court (neuf morceaux), si bien qu’une fois passé les premières écoutes, il faut vraiment trouver une bonne raison de remettre ce disque sur la platine (comme avoir une chronique à écrire, par exemple…)
Tracklisting
- The Adults Are Talking *
- Selfless
- Brooklyn Bridge To Chorus
- Bad Decisions *
- Eternal Summer
- At The Door
- Why Are Sundays So Depressing
- Not The Same Anymore
- Ode To The Mets
Vidéos
“Bad Decisions”
“At The Door”
“The Adults Are Talking”