RUBBLE Vol.20 – Thrice Upon A Time

Feu d'artifice final

Honte et consternation! Une fois de plus, une fois de trop, Rubble joue la carte de la facilité, et dévide avec complaisance une ribambelle de pop facile et de riffs frelatés que c’en devient indécent.

Passons sur l’emballage, du dernier mauvais goût – comme toujours : la production désuette dispute la palme de l’horrification à une pochette tape-à-l’oeil. D’un format résolument académique, ce florilège sonore rétrograde décevra sans faute le citoyen hédoniste, le hipster à carreaux, le blogueur concerné, le touiteur connexionné, en un mot tous les acteurs culturels vigilants de la vraie vie du jour. Amis, passez votre chemin, abandonnant toute espérance : ici, rien de jouissif, rien de séminal, rien de dérangeant, rien de subversif. Les autres, les dandies écoeurés, les mystiques sans cause, poètes analphabètes et prêtres refroqués au coeur fidèle, loin des hérésies triomphantes, goûteront dans ces témoignages musicaux d’un autre âge, le feu artifice attendu pour final d’une anthologie, massive pour sûr, mais bien belle: ouais, Rubble, c’était beau, et on ne regrette pas l’écoute.

La présence de Soft Machine ne contribue pas peu à la qualité de ce volume final : du single “Love Makes Sweet Music”, la maison Planetgong a déjà tout dit (voir Les Singles Du Dimanche). On ajoutera juste que ce coquin de Kim Fowley a réussi à jouer une fois de plus son monde en chipant la face B pour la publier sous un faux nom aux Etats-Unis (The Beautiful). Mais l’intérêt ne tient pas qu’aux stars de l’Avant-Gardisme Aventureux de Canterbury. D’autres formations de premier ordre confèrent à ce disque un éclat qu’on avait pas connu depuis longtemps ici. Avant tout, les remarquables Blossom Toes, longtemps méconnus, et aujourd’hui remis à leur juste rang, par la grâce récente de ces impeccables rééditions qui contribuent à nous faire vivre une grande époque de rock’n’roll, oui, en 2012.  “What On Earth”, pop orchestrale victorienne où s’éploient cuivres, bois et pianos – timide et gracieuse mais épanouie, ouvre à merveille le disque.

Aussi délicat et fin, mais souligné rythmiquement par une guitare tintante, “Buffalo Billy Can” témoigne de l’importance d’Apple, dont le disque longtemps inabordable reste une référence du psychédélisme anglais. En matière de guitares tranchantes, les redoutables Fleurs de Lys excellent, rarement dépassés: “Mud In Your Eyes” les montre à leur meilleur, qui sonne comme certains des premiers titres des Who, plus maigres, et plus fulminants. Arthur Brown, incendiaire manitou, grotesque au sens esthétique du terme, baroque descendant anglais de Screamin’ Jay Hawkins, voisin du Sieur Lord Sutch et grand frère d’Alice Cooper, ravira les amateurs de grand-guignol, hululant au bout d’un couplet de cabaret chaloupé, que le démon a posé sa griffe sur lui.

Voilà pour les stars. On ne qualifiera en effet pas le groupe Art de grand nom des sixties, et on aura presque tort, d’ailleurs. Ces gens-là, après tout, sont les ex-VIP, formation beat appréciée en France, et futurs métallurgistes gothiques chez Spooky Tooth. Trajectoire représentative de l’époque: un son de plus en plus lourd. C’est triste, mais “Supernatural Fairytales”, morceau-titre de leur album, tourbillonne encore dans une nuée de métal aérien, sur une pulsation tendue, rèche, aigue-marine. Les autres groupes jouent des choses moins marquantes, mais agréables: un titre mineur des Pandemonium, de la popsike intéressante (quasi-psych pour The Bump, lumineuse chez The David, mélancoliquement affectée chez Argosy), du beat-pop léger et plaisant (Beatstalkers) – une attention particulière sera accordée à Kate, entre rengaine liverpoolienne et orchestration à la Zombies.

Et les trouvailles? Et l’insoupçonné? Et le tordu? On se réjouit d’une moisson de deux titres. Une bizarrerie bricolée par un dj néerlandais: Adjeef The Poet, avec un tel nom, devait au moins s’écrier: “IEEK! I’m A… Freak” Les basses bourdonnent, la voix se pose avec assurance et bravache, il y a  de l’écho, une sorte de theremin s’agite au fond: excellent. Mais sans conteste, le meilleur morceau est un tube immense comme on a l’impression que l’époque psychédélique en a produit des centaines au fin fond de ses sous-sols et de ses caniveaux chamarés: les Chapter Four sont inconnus, mais leur “In My Life”, terrible et radical, mérite l’immortalité. Le riff saisissant fait frisonner, la fuzz résonne dans un écho sépulchral, le chanteur dédaigneux, souverain, acide, invective du bout des lèvres et suffoque  – c’est glacé et captivant, génial.

C’était Rubble.

Le vent se lève… Hardi compagnon, avant de lever les voiles, dis-moi, dis: est-il bien vrai que l’ineptie consiste à vouloir conclure?

 

Tracklisting

1. BLOSSOM TOES – What On Earth *
2. THE APPLE – Buffalo Billy Can *
3. SOFT MACHINE – Love Makes Sweet Music *
4. BOEING DUVEEN & THE BEAUTIFUL SOUP – Which Dreamed It
5. THE DAVID – Light of Your Mind
6. KATE – Don’t Make A Sound
7. ARGOSY – Mr. Boyd
8. THE BUMP – Winston Built A Bridge
9. ADJEEF THE POET – !Eek! I’m A….Freak *
10. PANDEMONIUM – The Sun Shines From His Eyes
11. CHAPTER FOUR – In My Life *
12. LES FLEUR DE LYS – Mud In Your Eye *
13. CRAZY WORLD OF ARTHUR BROWN – Devil’s Grip  *
14. THE BEAUTIFUL – Walter’s Dream *
15. ART – Supernatural Fairytales *
16. THE BEATSTALKERS – Silver Tree Top School For Boys

 

Vidéos :

Apple – Buffalo Billy Can

Blossom Toes – What On Earth

Chapter Four – In My Life

 

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6 Commentaires
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beat4less
Invité
beat4less
22 mars 2012 3 h 58 min

Waouh.

Salve d’applaudissements,

chants grégoriens,

arachage de fauteuils et soutifs,

etc.

DOMI
Invité
DOMI
23 mars 2012 9 h 14 min

il fallait le faire, méga chronique d’une période …magique !!!

John the Revelator
Invité
John the Revelator
23 mars 2012 0 h 20 min

Chapeau bas, monsieur.

MC5 m'a tuer
Invité
MC5 m'a tuer
23 mars 2012 3 h 10 min

Amen.

 

(et arrachage de soutifs, bien sûr)

zzw
Invité
zzw
26 mars 2012 3 h 17 min

à quoi bon conclure quand chaque phrase est conclusive ? 

Nous avons la tapisserie de Bayeux du rock’n’roll

Sujet suivant : Pebbles, entre rupture et continuité

PMS
Invité
PMS
9 février 2013 8 h 53 min

C’est pas une chronique, c’est une épopée. On connaissait le cycle arthurien, la chronique Rubble est le cycle beroaldien, épique et époustouflant. Epistouflant, donc.

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