RUBBLE Vol.9 – Plastic Wilderness

Excursion en territoire Nederbeat

“Qui a dit qu’on ne pouvait pas imiter les Anglais?” Personne. Même si, chez nous, le problème de la compatibilité totale et parfaite[1] de la patrie de Louis XIV et Chateaubriand avec l’art de Chuck Berry ou d’Eddie Cochran soulève en infinies controverses une interrogation toujours renouvelée, nul n’ira prétendre à l’existence d’un quelconque monopole anglo-saxon.

L’universalité du garage et du psychédélisme est un fait attesté. On en suit la piste, de glorieux monuments en méfaits souterrains, sur les cinq continents: du Pérou à l’Afrique du Sud, jusqu’au Cambodge et en Thaïlande, en passant par la Pologne, on jurerait que la musique qui nous tient à coeur a repris le flambeau du rêve espérantiste d’un langage universel. Qui en douterait, serait fort avisé de se ruer sans coup férir sur les compilations Love Peace & Poetry, et de potasser ses fondamentaux en géographie mondiale du binaire.

De toutes les scènes situées hors de l’aire anglo-américaine, l’une des plus souvent remarquées est la néerlandaise, si prolifique que l’on a regroupé ses productions sous le terme de Nederbeat. Car ce territoire modeste par la superficie grouillait de groupes beat. Parole! En 1965, à La Haye ou Amsterdam, au moindre pas, on se cognait dans des trognes renfrognées en costards approximatifs, sosies de Bill Wyman aux intimidantes tignasses, ou guitaristes à la hargne de troupiers teutoniques ; singulier spectacle, pour ne pas parler, par exemple, de la dégaigne de Wally Tax, saisissant chanteur des Outsiders, carrément une sorte de fils caché de Jacques Brel et Joan Baez, attifé d’une serpillère triste sur la caboche. Mais le choc ne tenait pas qu’au plumage. Cette scène de rare densité bataillait ferme, jusqu’à un niveau international (entendu que nous ne parlons jamais ici avec Rubble que de valeur artistique, non de reconnaissance commerciale). Qui, alors, portait les cheveux plus longs que les Outsiders? Qui rockait fort comme Q65 ? Non, on ne blaguait pas chez les Hollandais. Il faut croire que l’éducation des nourrissons se pratiquait à coup de Bo Diddley. Or donc, Plastic Wilderness occupe une place à part au sein des Rubble, au titre de seule excursion hors des contrées anglaises. Pourquoi cette exception? Si on n’en sait trop rien, on se gardera de protester, tant le résultat est à la hauteur.

Les têtes d’affiche – toutes proportions gardées, n’est-ce pas – sont à l’honneur : Golden EarringMotions, Zipps. Avant tout, les phénoménaux Q65 et Outsiders. Ceux-ci dépassent de loin le statut maigrichon de garage bands. Avec un peu de chance et des discographies plus étoffées, ces deux  groupes auraient tenu la draguée haute aux Pretty Things en personne, si. Une sérieuse formation et  musciale les distingue du tout venant; en matière de rythm’n’blues, Q65 impose le respect : pour assumer “Spoonful” sans ridicule, il faut du coffre. Les punkers de tous les horizons n’oublieront jamais leur première écoute du patibulaire “The Life I Live” ou du menaçant “Cry In The Night”, ces deux cris tordus et trébuchants, parmi les titres saillants des Nuggets. Plus hirsutes que les pires des rosbifs (Sorrows, Primitives, Downliners Sect), les Q65 ont élargi peu à peu leur palette dans Revolution et Revival, leurs deux indispensables albums, jusqu’à lustrer de psychédélisme bienvenu leurs tornades soniques, dont “So High I’ve Been, So Down I Must Fall”est un bon exemple. Il est donc logique d’entendre ici plusieurs épigones approximatifs de ces géants. Peter & The Blizzards creusent le sillon, mais on préfère leur “Bye Bye Baby” débridé qui figure sur l’anthologie Trans-World Punk Rave-Up! Meilleurs sont les bien nommés Les Baroques, emmenés par le teigneux hurleur excentrique Gary O’Shannon. Enfin, à la rigueur, le rythme nerveux du “Lotus Love” rapproche ici des râpeux Q65 les Zipps, curieux ludions provo-beat parfois capables de medleys narratifs d’un quart d’heure (“Beat & Poetry”). Quant aux magnifiques Outsiders, ils incarnent le versant soul et folk du Nederbeat, soutenu par une authentique tension garage. Leur tonalité évoque quelque chose d’une mélancolie maritime, d’une sensibilité nostalgique assez rare parmi nos punks chéris. Leur don pour la composition leur a valu d’être réputés, dans les limites d’un cénacle fervent, meilleur groupe non anglo-saxon des années 60. C’est d’ailleurs sous leur obédience que le frémit le “Girl Of My Kind” des Bumble Bees, franche réussite. Mais Plastic Wilderness démontre en outre qu’à l’ombre de ces deux pierres angulaires du Nederbeat, foisonnait un vaste réseau de seconds couteaux aux reins solides.

On passera vite sur les moments pop, bien composés et interprétés, qui aèrent un disque plein de cohésion. Le motif idiot à l’orgue sur “Minie Minnie” (The Young Ones), hommage aux danseuses en mini-short, amusera. Il faut classer à part le pétillant “Buses” de Sharks & Me, pièce mod de choix aux résonnances Who marquées. Néanmoins, l’élégance de “That Day”  en imposera davantage; Golden Earring, groupe à la longévité impressionnante (de 1961 à nos jours!), a obtenu avec le rock assez lourd de “Radar Love” la reconnaissance internationale. Leur discographie longue comme un jour sans pain a ses défenseurs, malgré son aboutissement dans les bas-fonds du rock FM. Mais comparables en cela à Status Quo (“Pictures Of Matchstick Men), ils n’ont brillé de mille éclats qu’à leurs débuts (le joyau “Daddy Buy Me A Girl”).

Aux alentours de 1969, aux Pays-Bas aussi, plusieurs combos psychés alourdissent le propos. Sur l’assise d’un orgue au débit fluvial, les Motions, premier groupe de Robbie Van Leewen, futur fondateur des sous-estimés Shocking Blue, fait écho à Vanilla Fudge. Autant écouter les efficaces The Tower ou St. Giles System, anonymes auteurs d’un “Swedish Tears” dont le pont sonne comme un “Interstellar Overdrive” miniature.

Que préfère-t-on enfin, dans Rubble? Les trouées de folie passagères, les hapax inexplicables, bien sûr. Dès la première écoute, deux formations franchement étranges, même selon les critères plutôt hors-normes de notre série affectionnée, sortent du lot. Qu’est-ce que ces percussions tribales, à quoi jouent ces maniaques hululant “Frère Jacques” en arrière-plan, ces flûtes guillerettes qui virevoltent parmi d’inquiétants ricanements et d’incertaines incantations? “Mother No head” de Groep 1850, éloquente aberration. Plus survolté encore, Supersister, avant les concept albums de jazz-prog autour de la figure Alexandre le Grand, s’inscrivait dans la lignée de l’école de Canterbury. Dans “A Girl Named You”, une escalade baroque de clavecin haletante, digne d’un Keith Emerson sous acide, cède d’un coup la place à une comptine évanescente, aux parages de Soft Machine. Les contempteurs du prog ordinaire devraient se pencher sur ces énergumènes oubliés.

Jetons un voile pudique sur l’interprétation par Golden Earring du jingle publicitaire coca-cola, final dûment incongru, mais agaçant. Peinturlurés comme pour une guerre lysergique, entre Kiss et Arthur Brown, les musiciens grimés de Dragonfly donnaient, paraît-il, des prestations scéniques peu oubliables. Ils ont laissé un disque fort; “Celestial Empire” est un véritable tube, propulsé par une basse fuzz irrésistible.

Inutile de poursuivre; Plastic Wilderness, dépourvu de temps faible, donne un éloquent aperçu de la passionnante scène hollandaise, et de ses principaux atouts: fermeté des compositions, tenue mélodique, âpre nervosité rythmique. Mainte contrée mérite et attend de même comparable exploration; le psychédélisme a ceci de désespérant: sa richesse insoupçonnée en fait une quête infinie. Le rock mainstream, la soupe middle of the road, cet envahissant volapük rythmique techno-mercantile, nous parasite; fini de plaisanter. Tant qu’il en est encore temps, fouillons la caverne garage-punk d’Ali Baba.

 

  

Tracklisting

1. Dragonfly – Celestial Empire *
2. Peter & The Blizzards – You Know That I’ll Be Thereuu
3. Groep 1850 – Mother No Head *
4. The Tower – Slow Motion Mind
5. The Outsiders – Do You Feel Alright *
6. Sharks & Me – Buses
7. Short ’66 – Good Weekend
8. The Motions – Wedding Of 100 Brides
9. Sandy Coast – Back To The City
10. The Zipps – Lotus Love
11. The Bumble Bees – Girl Of My Mind
12. The Young Ones – Mini Minnie
13. St. Giles System – Swedish Tears
14. Q65 – So High I’ve Been, So Down I Must Fall *
15. Super Sister – A Girl Named You *
16. Les Baroques – Such A Cad
17. Golden Earrings – That Day *
+ Golden Earrings, “Coca-cola”

 

Vidéos :

The Outsiders – Do You Feel Alright

 
Dragonfly – Celestial Empire
 
 
Groep 1850 – Mother Nohead
 
 
Supersister – A Girl Named You
 

 


[1]“Totale et parfaite”, nous soulignons. Nous avons tout de même entendu parler, pour n’évoquer que les noms évidents, d’Antoine, de Dutronc, des Chats et des Chaussettes, des Lionceaux, des Pirates, des Fantômes, des Gypsies, d’Hector, des  Five Gentlemen, des Gaëlics, Pollux, Bain Didonc, Zoo, Chico Magnetic Band, Melmoth, Variations, puis de Marie et les Garçons, Lucas Trouble, Guerre Froide et Trop Tard, des Magnetix, des Cheveu, Frustation ou Dadds. Distinguons donc groupes français, et pratique du rock’n’roll en français, à la française. Le problème reste posé et passionnant; il est de nature linguistique et historico-culturel. Il suffit de s’écrier “YEEEEEAAAHHHH” sur un accent tonique français pour saisir l’enjeu exact. Les créateurs de la langue française, tels que Guillaume de Machaut, François Amyot, Montaigne ou Malherbe ne se sont jamais exclamés quoi que ce fût qui ressemblât de près ou de loin à un bon gros “YYYEEEEEEAAAHHHHH”. “Ô” ou “Las!” à la rigueur; “YYYEEEEEEAAAAAHHHH” jamais. Réussir un refrain garage est à la portée du premier troglodyte anglo-saxon; trousser un couplet rythmique en français exige un art d’élite.

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beat4less
Invité
beat4less
11 janvier 2011 1 h 55 min

(Jolie parenthèse sur le rock français Mr Béro)

MC5 m'a tuer
Invité
MC5 m'a tuer
23 février 2011 3 h 23 min

Béroalde, écoute mon amère douleur : DEEEEUX MOOOOOIS!

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