(Reprise 1967)
Le nom fascine au premier abord. Improbable, prétentieux et naïf, mais indubitablement porteur de promesses. Notons qu’avec un patronyme aussi flamboyant, le groupe se met une certaine pression et se doit de se hisser à la hauteur des attentes qu’il suscite. Au cours de sa brève mais fructueuse carrière, The West Coast Pop Art Experimental Band s’est montré digne de tous les qualificatifs empilés dans son nom, même si pour être encore plus précis on aurait pu en accoler d’autres tels que “unsuccesful”, “underground” voire “millionaire’s hobby”.
L’histoire du groupe et de son chanteur (au nom lui aussi amusant de Bob Markley) est peu commune, c’est celle d’un Gatsby des temps modernes qui s’est rêvé Mick Jagger, celle d’un fils de bonne famille aux fonds illimités et aux aspirations de gloire rock’n’roll qui décida la trentaine arrivée de monter un groupe. Son objectif était limpide : draguer des groupies. Son ambition pour parvenir à ses fins : mener le meilleur groupe de la côte ouest. Pour ce faire, il fit ce qu’il y avait de plus simple : il intégra un groupe existant déjà en l’échange d’un soutien financier non négligeable.
Venu d’Oklahoma où son père exploitait des puits de pétrole, Markley fréquentait déjà la scène branchée de Los Angeles depuis des années lorsqu’il décida de devenir chanteur. Après un calamiteux essai solo au début des années 60, il envisagea alors une carrière d’acteur, mais une soirée privée organisée chez lui par son pote Kim Fowley (qui d’autre ?), où les Yardbird jouèrent et mirent en transe un public essentiellement composé de nombreuses jeunes femmes l’impressionna au point de le pousser à changer de voie. C’est par l’entremise de Fowley encore qu’il rencontra les musiciens du groupe Laughing Wind, qui furent impressionnées par ses ressources et ses équipements dernier cri. Très vite ils s’associèrent pour former un nouvel ensemble.
L’entreprise paraît cynique aujourd’hui. Doit-on pour autant accuser ces musiciens d’avoir vendu leur âme ? S’ils ont cédé à l’appel du dieu dollar, il faut savoir que les membres de Laughing Wind (les frères Harris et Michael Lloyd) avaient entre 16 et 19 ans à l’époque. De plus, ils n’ont pas particulièrement œuvré pour que leur musique soit accessible au grand public. Parce que là n’était pas leur but. N’oublions pas que Markley avait pour simple ambition de paraître cool pour coucher avec plein de groupies. C’est avec cet objectif en tête qu’il encouragea la voie psychédélique vers laquelle les frères Harris se tournèrent naturellement dès les débuts du groupe et qu’il donna au groupe ce nom idiot, mais indéniablement cool.
Textes philosophico-débiles
Un album sortit très rapidement en 1966, sur le minuscule label Fifo, nommé Volume One, dans lequel figure de nombreux morceaux écrits par les frères Harris avant de rencontrer Markley ainsi que quelques reprises de tubes du moment (“You Really Got Me”, “It’s All Over Now, Baby Blue”) et deux compositions co-signées Fowley/Markley. Après quelques changements, le line-up du groupe se stabilisa : John Ware à la batterie, Shaun Harris à la basse, Dan Harris et le fantasque Ron Morgan à la guitare et Bob Markley…. à rien du tout. Les quelques témoignages sont éloquents : Bob Markley était incapable de chanter ni même de tenir un tempo sur scène au tambourin. Son rôle dans le groupe – en dehors de celui de leader – fut donc d’écrire les textes (philosophico-débiles pour la plupart).
Leur réputation scénique et leur popularité poussa le label Reprise à les signer en 1967. Ils publièrent ainsi leur premier véritable album, justement titré Part One. Premier d’une série d’albums magnifiques, ce disque témoigne des divers visages du groupe : pop et délicat (avec des chansons aux mélodies cristallines telles que “Shifting Sands”, “Will You Walk With Me”, “Transparent Day”) mais aussi barré et psychédélique (avec des bizarreries comme “1906” ou “Help I’m A Rock”).
Le talent de West Coast Pop Art Experimental Band sur cet album réside dans leur capacité d’interprètes et arrangeurs qui leur permettait de naviguer entre ces deux approches avec aisance et sans jamais perdre leur identité. Bien que l’album soit d’une remarquable unité, il faut d’ailleurs noter que peu de morceaux sont écrits par les membres du groupe ici. On trouve une reprise des Mothers Of Invention (“Help I’m A Rock”), de PF Sloan (“Here’s Where You Belong”), de Bob Johnston (“Scuse Me Miss Rose) et de Van Dyke Parks (l’instrumentale “High Coin”), ainsi que quelques titres écrits par des artistes pour le groupe (Baker Knight, songwriter proche de Markley, écrit “Shifting Sands” et “If You Want This Love”, sans doute les deux plus beaux morceaux de l’album). Les quelques morceaux écrits par le groupe sont pour la plupart distordus et psychédéliques, comme “Leiyla” qui démarre comme “Mona” de Bo Diddley et part en expérimentations sonores surprenantes, ou la fabuleuse “1906”.
Appréciable bizarrerie
D’un bout à l’autre de l’album, le son de The West Coast Pop Art Experimental Band frappe par sa simplicité et sa beauté. Basse en avant, harmonies angéliques, fuzz discrète, chant délicat du guitariste Shaun Harris, arrangements élégants (violons, celesta, clavecin), guitares carillonnantes… tous les éléments pour faire de la pop psyché classieuse sont là. Pour preuve, The Coral, orfèvres pop des années 2000 à la culture musicale d’historiens du rock, n’ont jamais caché leur admiration pour le groupe californien. A l’écoute de Part One, on perçoit souvent une parenté avec l’album Nightfreak Or The Sons Of Becker des liverpuldiens.
Au milieu des dizaines de groupes surdoués qui émergeaient de Californie à la fin des années 60 (au hasard Love, Jefferson Airplane, Buffalo Springfied, Moby Grape, Doors, Grateful Dead, etc. etc.), The West Coast Pop Art Experimental Band manquaient sans doute de personnalité et de charisme pour percer mais leur musique demeure un exemple à suivre de pop psychédélique léchée et colorée. Part One, leur meilleur album sans doute, plaît aujourd’hui car il évite les clichés de la génération Woodstock (on ne trouve ici aucune reprise blues étirée ni de délires hippies datés) et possède une appréciable bizarrerie. Situé quelque part entre Love, Byrds et les Mothers Of Invention, c’est un disque à connaître pour quiconque s’intéresse de près à la scène américaine des années soixante.
Tracklisting :
- Shifting Sands *
- I Won’t Hurt You
- 1906 *
- Help, I’m A Rock
- Will You Walk With Me *
- Transparent Day *
- Leiyla
- Here’s Where You Belong
- If You Want This Love *
- ‘Scuse Me, Miss Rose
- High Coin
Vidéos :
“Shifting Sands”
“1906”
“I Won’t Hurt You”
Vinyle :