(Decca Records ; 1964)
Formés pendant l’année 1962, Les Rolling Stones ne sont qu’un groupe londonien parmi tant d’autres, qui n’a effectué que quelques concerts et qui cherche encore une reconnaissance qui tarde à venir.
Au mois de février 1963, Georgio Gomelsky, futur manager des Yardbirds et gérant du Crawdaddy, confie aux Stones le rôle de groupe attitré du club. Après quelques mois – et un certain succès d’estime, les Stones font la rencontre d’un jeune dandy de tout juste vingt ans, Andrew Loog Oldham, qui devient leur manager, une place qui aurait dû revenir en toute logique à Gomelsky. Aidé par Brian Jones, Oldham parvient ensuite, en échange d’une somme dérisoire, à récupérer les droits du groupe, qu’un premier contrat liait au label IBC, prétextant une implosion imminente du groupe. C’est finalement le label Decca qui va accueillir les Rolling Stones, par l’entremise de Dick Rowe (tristement célèbre pour avoir refusé d’engager les Beatles, quelques mois plus tôt). A la signature du contrat, Decca demande à Oldham d’évincer son chanteur, estimant que ce dernier n’est pas de taille… Confiant dans les capacités de Mick Jagger, Oldham le défend âprement, et obtient gain de cause.
Andrew Loog Oldham accompagne la sortie des premiers E.P. du groupe (juin 1963 : “Come On” / “I want to be loved” ; novembre 1963 : “I wanna be your man” / “Stoned” et février 1964 : “Not fade away” / “Little by little”) d’une campagne de presse à l’ampleur démentielle qui oppose les gentils Beatles aux farouches Stones. Cette campagne culmine avec l’article “Laisseriez-vous votre fille sortir avec un Rolling Stone ?” et bien sûr la mythique note de pochette du premier album : “The Rolling Stones are more than just a group – they are a way of life“. L’album, qui sort finalement le 17 avril 1964, est donc très attendu. Le groupe tient toutes les promesses de son manager, et confirme tous les espoirs placés en lui : la musique des Stones est sauvage, rebelle et efficace. Le disque se compose principalement de reprises, piochées dans le répertoire des géants du Rhythm’n’Blues et du Rock’n’Roll nord-américains (Willie Dixon, Bo Diddley, Chuck Berry…), mais aussi dans le registre d’artistes Soul (Holland & Dozier, Rufus Thomas). Le choix des titres est parfait, et les Stones interprètent ces chansons avec assurance, les maîtrisant parfaitement pour les avoir jouées lors de leurs tournées (en septembre 1963, avec Bo Diddley, Little Richard et les Everly Brothers, et en janvier 1964 avec les Ronettes, groupe créé et produit par Phil Spector).
Dès les premières mesures de “Route 66”, le groupe affiche avec une insolente assurance d’immenses possibilités. Chacun des Stones est impressionnant et irremplaçable. Charlie Watts assure le tempo de façon impeccable, sa frappe sobre et efficace maintenant une assise parfaite au groupe. Sa batterie est tantôt un moteur pour le reste de ses compères (on apprécie avec délectation sa frappe sur le jungle beat de “I need you baby”), tantôt un contrepoint aux envolées des solos de guitare et/ou d’harmonica (sur”I just want to make love to you”). Le bassiste Bill Wyman est lui aussi parfait : son jeu, virtuose et implacable, se remarque particulièrement sur “Route 66”, “Now I’ve got a witness”, “Little by little”, “I’m a king bee”, “Carol” (en fait, le jeu de basse est extraordinaire d’un bout à l’autre de l’album). Bill Wyman et Charlie Watts forment en ce début d’année 1964 ce qui va rester comme l’une des meilleures bases rythmiques de l’histoire du rock. Le début de la face B est un excellent exemple de leur complémentarité: sur “I’m a King Bee”, un loop de basse suramplifié, qui suit un tempo simple mais implacable, sur “Carol” (de Chuck Berry), un rythme plus rapide et une descente de basse splendide. Du côté des guitaristes, Keith Richards et Brian Jones se répondent à grands coups de riffs tranchés et réjouissants. Leurs guitares, acérées jusqu’à la limite de la saturation, sont le signe le plus évident de la violence sonique des jeunes Stones (leurs versions de “I just want to make love to you” de W. Dixon et de “Carol” de C. Berry sont prodigieuses d’enthousiasme et d’agressivité). Les solos qui s’échappent de leurs guitares sont les prototypes du son de British R’n’B, que vont s’empresser de reproduire des groupes comme les Animals, les Who et les Pretty Things. L’harmonica, tenu alternativement par Brian Jones et Mick Jagger, ajoute encore du relief à la texture sonore (par exemple sur “Now I’ve got a witness” ). Quant au chant de Jagger, sur lequel absolument tout a déjà été écrit, il est également prodigieux. Mick Jagger, dont l’assurance naturelle est ici confortée par la formation rock monstrueuse qu’il a derrière lui, s’affirme dès ce premier album comme un grand chanteur. Dans la lignée d’Elvis (période 1954-1956), il redéfinit le statut de chanteur au sein d’un groupe de rock: provocateur, sexy, sûr de son fait, capable de s’époumoner, comme sur “I just want to make love to you”, mais aussi d’exprimer de façon douce et calme d’autres sentiments (“Tell me (you’re coming back)”).
L’assemblage de ces cinq éléments, auxquels on doit ajouter Ian Stewart, l’éternel pianiste et véritable “sixième stone” à l’importance indéniable (pour preuve, réécouter “Can I Get a witness” ou “Tell Me”) fait des Rolling Stones (en 1964) l’incarnation du groupe rock idéal: ils sont jeunes, rebelles, sauvages, insolents, et la musique qu’ils offrent sur cet album est simplement extraordinaire.
Tracklisting :
1. Not Fade Away *
2. Route 66 *
3. I Just Want to Make Love to You
4. Honest I Do
5. Now I’ve Got a Witness *
6. Little by Little *
7. I’m a King Bee
8. Carol *
9. Tell Me
10. Can I Get a Witness *
11. You Can Make It If You Try
12. Walking the Dog
Vidéos :
“Carol”
“Not Fade Away”
Vinyle :