(2009)
Après le semi-échec de la première collaboration entre Danger Mouse et le groupe de Mark Linkous (Dreamt for Light Years in the Belly of a Mountain, sorti en 2006), Sparklehorse revient avec un album dans lequel la collaboration entre le groupe et producteur le plus doué du moment est clairement revendiquée (sans doute parce que ce dernier est devenu incontournable dans le microcosme rock depuis, travaillant avec des artistes aussi variés que Damon Albarn et les Black Keys).
Le projet semble pharaonique : accompagné d’un impressionnant casting d’artistes (Iggy Pop, Black Francis des Pixies, Julian Casablancas des Strokes, James Mercer des Shins, Gruff Rhys de Super Furry Animals, Wayne Coyne des Flaming Lips, Jason Lytle de Grandaddy, Nina Persson des Cardigans…), Sparklehorse et Danger Mouse mettent en musique des visuels créés par David Lynch. La teneur exacte du projet est toujours mystérieuse (est-ce un film? un livre? un album-photo enrichi de musique?), d’autant que le titre de l’album semble faire référence à des écrits religieux de Jean de la Croix (“La nuit obscure de l’âme” en français)[1]. Pour compliquer les choses, Danger Mouse et EMI sont en procès, ce qui a poussé le musicien à prendre une décision surréaliste : le CD proposé à l’achat du disque sera vierge, à vous de le télécharger illégalement sur Internet !
Un point paraît acquis néanmoins, cet album, même sans tout son emballage conceptuel et ses délires juridiques, est tout à fait excellent et marque le retour de Linkous au premier plan. Cet artiste maudit, marqué dans sa chair depuis un accident qui faillit lui coûter la vie et le priva pendant 6 mois de l’usage de ses jambes, se complaît depuis cet événement à produire des albums sombres et introspectifs, et s’est montré très peu productif depuis le début du 21e siècle. De quoi lui donner un statut culte, mais aussi de quoi lui attribuer une étiquette d’artiste difficile.
Malgré la multiplicité des styles apportés par les chanteurs qui collaborent à l’album, Dark Night Of The Soul est indubitablement un album de Sparklehorse. L’écriture de Mark Linkous est reconnaissable dès la première suite d’accords, dès la première note de piano même, mais quelques chose d’inédit se produit. La participation des artistes invités et la production sobre de Danger Mouse (loin du côté bruitiste des albums précédents) permet aux mélodies de poche de Linkous de se déployer en douceur, et de se révéler au grand jour.
Parmi les meilleurs moments de Dark Night Of The Soul, les 3 morceaux d’ouverture sont indissociables, chantés par 3 musiciens emblématiques de la scène indie psyché, à savoir Wayne Coyne, Gruff Rhys et Jason Lytle. La ballade délicate “Just War” chantée par Rhys est un de ces petits miracles mélodiques dont est capable Linkous. Le deuxième volet de l’album est nettement plus rock’n’roll avec l’excellente “Little Girl” chanté par Julian Casablancas qui s’approprie le morceau formidablement, la lourde “Angel’s Heart” avec Black Francis et l’enthousiasmante “Pain”, le meilleur morceau chanté par Iggy Pop depuis longtemps.
La ballade dépressive “Everytime I’m With You” chanté par Jason Lytle est sans doute le sommet de cet album de très grande qualité. Plus loin il est intéressant de constater à quel point Mercer s’approprie la chanson “Insane Lullaby” qui ressemble à s’y méprendre à un morceau des Shins. L’enchaînement entre ce morceau et le suivant “Daddy’s Gone” est magnifique. L’alchimie entre les voix de Linkous et Nina Persson donne énormément de cachet à la fin de l’album, avant que Vic Chesnutt puis David Lynch lui-même ne terminent le boulot avec classe.
Etant donné la qualité globale de cet album, il serait dommage de passer à côté de Dark Night Of The Soul. Le livret avec les photos et le CD-R vierge est en vente sur le site officiel du disque, pour le prix quand même assez prohibitif de $50. Par ailleurs, on imagine mal voir le CD sortir un jour dans un boitier normal, (sans livret de photos) avec un CD-R vierge dedans. L’album est en écoute en streaming légal sur le site de NPR, et on peut le trouver assez facilement si on a une âme de pirate. Comme disait François Béranger dans “Le Blues du syndicat”, “Enfin c’que je vous en dis… prenez-le comme vous voulez! Mais faites-le!“
Tracklisting :
01. Revenge (avec Wayne Coyne) *
02. Just War (avec Gruff Rhys)
03. Jaykub (avec Jason Lytle) *
04. Little Girl (avec Julian Casablancas) *
05. Angel’s Harp (avec Frank Black)
06. Pain (avec Iggy Pop) *
07. Star Eyes (I Can’t Catch It) (avec James Mercer)
08. Everytime I’m With You (avec Jason Lytle) *
09. Insane Lullaby (avec James Mercer de The Shins) *
10. Daddy’s Gone (avec Nina Persson) *
11. The Man Who Played God (avec Suzanne Vega)
12. Grim Augury (avec Vic Chestnutt)
13. Dark Night Of The Soul (avec David Lynch)
Le site officiel du projet : www.dnots.com
Vidéos :
“Revenge”
“Every Time I’m With You”
[1] Un excellent article de l’Encyclopédie Encarta explique tout cela bien mieux que Wikipédia : http://fr.encarta.msn.com/encnet/refpages/RefAuxArt.aspx?refid=102686383