(Norton Records 2021)
“On finit par s’habituer à la perte, on s’endurcit, et certains me reprocheront sûrement d’être infantile en pleurant ainsi la fin d’un groupe que je n’ai jamais rencontré. Mais ils étaient véritablement les meilleurs.”
Il y a quelques jours, nous pouvions lire ces quelques mots sur le mur facebook de Miriam Linna, suite à l’annonce impromptue de la rupture des Grys-Grys. Cela peut sembler un peu anodin, mais Miriam Linna n’est pas n’importe qui : membre fondatrice des Cramps et tête pensante du label Norton Records (spécialiste du garage déviant le plus culte), elle a vu passer depuis les années 1970 tout ce que la planète contient de grands groupes rock ‘n’ roll. Sa tristesse, vraisemblablement immense, face à l’annonce de la fin des Grys-Grys n’est donc pas anodine : elle témoigne de la grandeur d’un groupe que nous aurons bien du mal, comme Miriam Linna, à ne pas regretter.
Comment expliquer cet émoi outre-Atlantique autour d’un petit groupe français venu d’Alès, dans le Gard, qui est resté relativement anonyme du temps de son existence ? On se souvient, il y a près de 10 ans, d’avoir entendu une rumeur bruisser à leurs débuts : après chacun de leurs passages dans les bars interlopes du pays, les amateurs de garage sixties le plus pur et racé s’excitaient comme s’ils venaient de découvrir un volume inédit des Back From The Grave. Déjà, à l’époque, les plus exigeants d’entre eux, d’ordinaire si difficiles à combler, juraient par leurs grands dieux qu’il s’agissait là d’un miracle comme on n’en voyait plus de nos jours – les Yardbirds ressuscités ! Ces cinq jeunes hommes sortis de nulle part, à la dégaine parfaite (jusqu’au joueur de tambourin, copie carbone de Joel Gion, la coqueluche du Brian Jonestown Massacre), retournaient tout sur leur passage en jouant un garage rock incendiaire, et tout le monde semblait unanime pour saluer la naissance d’un phénomène.
Puis, le groupe a tardé à sortir son premier album, sûrement soucieux de répondre aux attentes suscitées par leurs concerts. Enregistré aux Toe Rag Studios à Londres (qui a vu défiler le gratin du rock ‘n’ roll des années 2000, des White Stripes à The Kills en passant par Billy Childish) et publié en 2019, le disque était en effet prodigieux. Accompagné de sa pochette conquérante, il donnait à entendre une bande unie comme les cinq doigts de la main, maîtrisant parfaitement les codes du garage (tendance Kinks / Pretty Things des débuts) mais parvenant miraculeusement à les dynamiter par une énergie folle et une écriture d’une intelligence rare. Probablement l’un des tout meilleurs disques du genre sortis lors de la décennie passée, qui ridiculisait au passage toutes les baudruches qu’on avait vainement essayé de nous vendre (les Strypes, quelqu’un ?). La tournée qui s’en est suivi leur a donné l’occasion de confirmer ce qu’il se disait d’eux : devant de grandes scènes à ciel ouvert (au festival Relâche à Bordeaux, par exemple), ils réussissaient à faire danser des foules entières qui n’étaient pas spécialement venues se repaître d’une musique vieille de 60 ans et en ressortaient pourtant extatiques.
Arrive 2021 et cet album au titre tristement annonciateur, To Fall Down. La pochette évoque le Back In The USA du MC5, et le son reste fidèle à celui du premier album : assauts freakbeat perpétuels, Diddley beats occasionnels, solos de guitares croisés et hurlements d’harmonica qui transpercent les enceintes, groove démentiel, grand bordel organisé qui parvient à transmettre la violence punk ressentie pendant leurs concerts – ce qui n’est pas chose aisée, loin s’en faut. A nouveau, c’est une oeuvre phénoménale. Miriam Linna, en l’entendant, décida ainsi de raviver Norton Records, qui avait abandonné la publication de nouveautés.
Les Grys-Grys semblaient ainsi promis à de beaux lendemains, mais voilà… Le groupe se sépare avant d’avoir pu défendre To Fall Down sur scène. Dans le communiqué annonçant la fin de leur aventure, Almir Phelge explique sa décision : le guitariste Vincent Bassou a décidé de quitter ses camarades en fin d’année dernière, les membres étaient dispersés aux quatre coins de la France, le Covid était passé par là et Phelge ne se sentait plus la force de relancer une machine dont la confection avait demandé tant de minutie. On le comprend : à l’écoute de leurs deux disques, il ne fait pas l’ombre d’un doute que pareille dynamique requiert un travail d’orfèvre, et il aurait sûrement été très difficile de reproduire pareil exploit. Ne pleurons pas trop fort, donc. Merci aux Grys-Grys de nous avoir enchantés dix ans durant, et au plaisir de les retrouver dans de nouvelles aventures.
Tracklisting
- I’m Going Back*
- So Long
- Watching My Idols Die
- Tell Me
- See Me Frown*
- Milkcow Blues*
- By The River*
- Mrs Rampage
- Turn My Head
- To Fall Down
Vidéos
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