LOUIE – Young Evil Souls

Les grands oubliés

(B.E.R.K. 2020)

L’histoire du rock est tellement riche qu’on y trouve absolument tout. Des superstars, des groupes cultes, des losers magnifiques, des winners dégueulasses, des champions du ventre-mou contents d’assurer le maintien à la 30e journée, des beaufs qui se prennent pour des rebelles, des vrais rebelles qui se consument, des mythomanes qui s’imaginent un destin brisé, des braves mecs se fichent du succès, des mecs timides qui trouvent leur public, des mecs exubérants qui se sabordent.

Quiconque a ouvert une anthologie de la musique électrique du XXème siècle a rencontré un de ces profils ; et chez PlanetGong on avoue avoir un faible pour les perdants surdoués, ceux qui sont allés chercher la défaite dans la gueule de la victoire. Les anglais de Louie sont ainsi un cas d’école d’une gestion de carrière désastreuse, de mauvais choix aux moments clefs, et d’hymnes punk perdus aux oubliettes de l’histoire. Leur destin n’a rien de tragique ni de pathétique, il n’est même pas question de drogues ou de censure, mais juste d’une formidable occasion manquée. 

Plantons le décor : nous sommes en 2005. Le rock à guitares est de retour dans les charts en Angleterre, et des dizaines de groupes émergent de tout le pays. Rakes, Long Blondes, Rifles, Arctic Monkeys, Zutons, Neils Children, Kaiser Chiefs, Young Knives, Bloc Party, Art Brut… la deuxième vague de la “nouvelle révolution rock” vendue par le NME déferle en Angleterre et au-delà et emplit les ondes des radios, aussi riche que variée. Parmi tous ces groupes naît un nouveau sous-genre : les suiveurs des Libertines. Le groupe de Peter Doherty et Carl Barât vient alors de se saborder avec un immense panache et se diviser en deux factions ennemies avec Babyshambles et Dirty Pretty Things. Dans leur sillage naissent aux quatre coins du royaume des groupes dans la même mouvance indie punk qui se nomment Paddingtons (Hull), Others (Londres), Pigeon Detectives (Leeds), View (Dundee), The Enemy (Coventry).

Tous ne sont pas restés inoubliables, mais la plupart ont accouché d’un ou deux morceaux mémorables dans le genre éternel de la chanson de rébellion adolescente. Aucun d’entre eux n’atteignait pourtant la brillance, l’énergie et le chaos de Louie, sextet venu de Londres qui paraissait promis à un bel avenir avant de se saborder. Mené par un duo de chanteurs explosif – Gaz Tomlinson à la voix chevrotante et Jordan Smith à la gouaille northern – le groupe a fait parler la poudre lors de prestations live remarquées avant de sortir un premier single en Novembre 2005. “Trees” et son agression punk garage a été sold out dès sa sortie, tout comme ses successeurs “The Curves And The Bends” et “Dead Man” l’année suivante. Un succès qui leur vaudra d’être repéré par Elektra et d’enregistrer un album complet avec Stephen Street, producteur de renom connu pour son travail avec Blur. 

Au vu des prestations live du groupe, emplies d’énergie et dans lesquelles l’alchimie entre les deux chanteurs offrait une dynamique incroyable, le disque s’annonçait comme un des événements de l’année 2006. Ils avaient le son, les morceaux, l’attitude. On attendait cet album bien plus que n’importe quel truc hypé par le NME (tous les groupes cités plus haut en somme), et le seul jeune groupe aussi enthousiasmant venu du Royaume-Uni à l’époque s’appelait… Arctic Monkeys. Avec Street aux manettes, ils s’étaient donnés les moyens de bien sonner. Un classique s’annonçait. 

Et puis, rien.

On a attendu, attendu, et rien n’est venu (zai zai zai zai).  Au bout de plusieurs mois de silence, on a appris que le groupe avait quitté son label et – fait rare – négocié de récupérer les bandes de son album. Dès lors tout est parti en couille. Le batteur Mikey Parrish est parti tenter une carrière d’acteur. Le groupe a changé de nom (The Dead Front, Quiet Boy) et de style plusieurs fois, gardant toujours le trio de basse Gaz Tomlinson, Jordan Smith et le guitariste Russell Ditchfield, et Louie n’est plus devenu qu’un lointain souvenir. Les musiciens jouent toujours aujourd’hui (Ditchfield et Tomlinson dans Quiet Boy) mais le coeur n’y est plus vraiment, chacun ayant depuis 15 ans changé de vie et tourné la page. 

C’est dans ce contexte qu’est sorti en 2020, alors que plus personne ne l’attendait, le premier album du groupe. Intitulé Young Evil Souls, il est disponible uniquement en numérique (sur Deezer, Spotify, ce genre de trucs) et propose 17 morceaux et une pochette abominable. Autrement dit, le groupe livre l’intégralité de son répertoire (que les fans, s’il en reste, connaissaient pour l’essentiel en single et face B) avec un tracklisting étrange qui mériterait vraiment d’être retravaillé car l’album débute sur le morceau le plus insipide du groupe, “Listen To My Lies”, truc indie générique sans âme. 

La suite est une succession de merveilles : les riff tournoyants de “Young Evil Souls”, “Stop And Look Around” et “I.D.”, les ruptures de “The Curves And The Bends”, le lyrisme dégénéré de “One Big Repeat”, le tube indépassable “Trees”, le groove de “Purgatory” et “Smoking Champagne”, l’énergie punk de “Heartbreaker Skies”, le cri primal de “I Know What You’re Doing Tonight”. Oublions les quelques titres moins bons (un ou deux trucs indie pas inspirés, une piste acoustique foireuse). En gardant les 12 meilleurs morceaux ici, on tient un des meilleurs albums de punk anglais de l’année 2006, un premier album frais et empli d’énergie juvénile.

Que ce disque sorte au moment où les membres du groupe sont des trentenaires rangés est assez étonnant, et diablement frustrant. Reste la musique, et ces hymnes adolescents qu’on est heureux de pouvoir écouter à nouveau. Louie méritent d’être connus. Leur réhabilitation commence maintenant. 

 

 

Tracklisting

1. Listen to My Lies
2. Dead Man
3. Young Evil Souls *
4. Curves and the Bends *
5. One Big Repeat *
6. Chasing Shadows
7. Trees *
8. Locked Up *
9. Purgatory *
10. Creativity
11. Heartbreaker Skies *
12. I.D
13. Medicine Eyes
14. I Know What You’re Doing Tonight *
15. Smoking Champagne
16. Stop and Look Around *
17. Optional

 

Vidéos

“Trees”

“I Know What You’re Doing Tonight”

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