(United Artists 1969)
Lorsqu’on parle de Can, les albums les plus régulièrement cités sont les formidables Ege Bamyasi et Tago Mago, chefs d’œuvre de krautrock planant, expérimental et trippant que certains qualifieraient aujourd’hui de “barré”, faute de pouvoir qualifier leur étrangeté et leur fascinante complexité.
Avant que le chanteur japonais Damo Suzuki ne traumatise les auditoires de ses cris perçants et de son interprétation habitée, le groupe allemand avait pour figure de proue un autre chanteur, un noir américain nommé Malcolm Mooney. Sa présence au sein de Can dura des débuts du groupe en 1968 jusqu’à 1970, pendant les années formatives du groupe qu’il mena avec un style vocal à mi-chemin entre spoken word et râle alcoolisé très éloigné de son successeur.
De ces premières années, Monster Movie et sa pochette qui cite à la fois le personnage de Galactus des comics Marvel et les portraits sans visage des peintures de René Magritte, est le meilleur témoignage (Soundtracks sorti en 1970 contient déjà des morceaux avec Suzuki, et les balbutiements du groupe n’ont vu le jour sur disque qu’en 1981 avec Delay 1968).
Comme de nombreux albums de cette époque, Monster Movie possède un morceau planant de 22 minutes qui dure le temps d’une face entière. Comme d’autres artistes de cette époque, le Can de 1969 (qui s’appelait alors The Can, comme le montre la pochette) était au croisement des chemins et se cherchait encore entre rock psychédélique, hard-rock et rock progressif primitif. Les prémices du minimalisme du groupe se trouvent à divers passages de cet album aux multiples facettes, toutes fascinantes.
La face A contient trois morceaux. Deux d’entre eux sont menés par une basse mélodique très dynamique, une guitare électrique emplie de fuzz et un synthétiseur strident. Si “Outside My Door” aurait pu figurer sur une compilation à la Nuggets avec son riff explosif et sa rythmique qui s’inspire de celle d’un train en mouvement (“I can hear a train whistle outside my door” chante Mooney), “Father Cannot Yell” invente carrément le post punk près d’une décennie avant que ce mouvement n’émerge dans le sillage de groupes tels que The Fall avec sa rythmique insistante et ce texte craché par Mooney comme un discours furieux. L’influence de ce morceau transparait sur des groupes actuels tels que Cheveu ou Liars. Le troisième morceau, “Mary, Mary So Contrary” est le détournement d’une comptine séculaire en morceau psychédélique planant qui navigue dans les mêmes eaux que les Pink Fairies de Never Neverland.
La face B “You Doo Right” est une histoire à elle seule, 20 minutes de jam bouillonnante extraites d’une session de six heures durant lesquelles le groupe, en transe, s’est laissé emporter par des rythmes tribaux hypnotiques jusqu’au bout de la fatigue. Mooney y scande le titre du morceau comme un mantra, qu’il entrecoupe de passages tirés d’une lettre d’amour, au romantisme pseudo-biblique (“you made a believer out of me baby”, “once I was blind now I can see”). Le chanteur y apparait comme possédé, dans un état psychique inquiétant. Rien d’étonnant à l’écoute de ce morceau qu’il ait quitté le groupe l’année suivante et soit rentré aux Etats-Unis, sur recommandation de son psy qui s’inquiétait de sa santé mentale.
La suite de la carrière de Can est connue : le groupe a ensuite engagé Damo Suzuki, un artiste tout aussi dérangé, rencontré par le groupe alors qu’il faisait la manche dans la rue en chantant. Le son du groupe s’est affiné jusqu’à aboutir à ce son minimaliste qui a fait sa renommée et Can n’est plus jamais retourné dans des eaux aussi psychédéliques que celles traversées au cours de ce Monster Movie magistral. Bien que les musiciens s’en défendent, ce Can là possède une base rock solide, qui tranche avec le son futur du groupe. Peu de groupes possèdent un premier album “de jeunesse” aussi stupéfiant que ce Monster Movie.
1. Father Cannot Yell *
2. Mary, Mary So Contrary
3. Outside My Door *
4. Yoo Doo Right *
Vidéos :
“Outside My Door”
Vinyle :
Une pochette étrange, où apparaît Galactus, le dévoreur de mondes de l’univers Marvel, sans visage, ce qui donne un côté Magritte à la pochette. Notez le nom du groupe en bas à droite, “The Can”.