(Verve 1968)
Cet album – dont la plus grande partie a été enregistré au cours de l’année 1967 – est un disque extraordinaire. Alors que la vague psychédélique déferlait sur le monde de la musique, et que les hippies célèbrent la contre-culture à tous les niveaux (littérature, arts, société, politique), Zappa et son groupe ont enregistré un disque dans lequel ils se moquent de la superficialité et des travers de ce mouvement pseudo-révolutionnaire.
Le titre de l’album, et sa pochette (qui parodie avec une délicatesse certaine celle de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, sorti l’été précédent) sont assez explicites et préparent l’auditeur à l’écoute de ce disque, dont les chansons s’enchaînent les unes aux autres, à la façon des concept-albums qui fleurissaient à l’époque. We’re Only In It For The Money est un disque à conseiller à tous, pour plusieurs raisons : au niveau musical, les Mothers font preuve d’une maîtrise et d’une aisance hallucinante. Dans la seconde moitié des années 1960 (et à l’exception de Brian Wilson), Frank Zappa était le seul artiste à écrire, enregistrer et produire la totalité de ses morceaux. Les chansons de ce disque sont d’une richesse pléthorique, marquées par des impromptus surprenants, des changements de rythmes soudains, des commentaires parlés et des passages en bande inversée, imposés par la censure1.
Chacune des chansons comporte de nombreuses mélodies différentes, qui se croisent et se répondent à une vitesse folle, dans ce qui peut apparaître comme un joyeux désordre. En réalité, la marge d’improvisation accordée par Frank Zappa à ses musiciens était extrêmement réduite, pour ne pas dire nulle : ses morceaux étaient écrits de façon précise, et Zappa n’acceptait presque jamais les ajouts tentés par les membres des Mothers2.
We’re Only In It For The Money possède plusieurs morceaux qui restent parmi les meilleurs de la gigantesque discographie de Frank Zappa. « What’s the ugliest part of your body ? » sert de base à deux pistes extraordinaires, aux paroles semblables mais aux arrangements différents : ici encore, on pense à Sergeant Pepper’s, mais dans une perspective nouvelle. La liste est presque interminable : « Absolutely Free », « Flower Punk », « Concentration Moon », « Let’s make the water turn black », « Bow-Tie daddy », « Take your clothes off when you dance » (entre autres!) sont des pistes extraordinaires, où s’exprime l’incroyable inspiration de Zappa, dans des registres variés, et sur lesquelles la seule continuité est une maîtrise insolente. Cet album propose aussi en dernière position un morceau expérimental, « The Chrome-plated megaphone of Destiny », qui prouve si besoin est que Zappa ne se considérait pas en tant que musicien pop, mais bien comme un artiste libre.
A l’origine une critique féroce de la génération autoproclamée « flower power », We’re Only In It For The Money est un album indispensable, qui a mieux traversé le temps que la plupart des disques qui lui étaient contemporains. Il offre aujourd’hui encore une perspective différente sur l’évolution de la scène musicale de la seconde moitié des années 1960, en montrant une réalité trop souvent laissée de côté.
Liste des chansons :
1. Are you hung up?
2. Who needs the Peace Corps?
3. Concentration Moon *
4. Mom & Dad
5. Telephone Conversation
6. Bow-tie daddy *
7. Harry you’re a beast *
8. What’s the ugliest part of your body? *
9. Absolutely Free *
10. Flower Punk *
11. Hot Poop
12. Nasal retentive calliope music
13. Let’s make the water turn black *
14. The idiot bastard son
15. Lonely little girl *
16. Take your clothes off when you dance *
17. What’s the ugliest part of your body? (Reprise)
18. Mother People *
19. The Chrome plated megaphone of Destiny
1 Tout au long de sa carrière, Frank Zappa a eu à subir les décisions des censeurs nord-américains. Les différentes prises de studio de l’album, regroupées sous le titre « We’re Only In It For The Money Outtakes » permettent de découvrir la poésie et la légèreté de certains couplets (notamment ceux de « Harry you’re a beast »).
2 Le comportement de Frank Zappa a même parfois été décrit comme quasi-tyrannique par certains de ses collaborateurs, l’a conduit à faire régulièrement évoluer la composition des groupes qui l’accompagnaient ; la plupart du temps, un musicien ne restait avec Zappa que pendant quelques années, avant de partir.
L’individu en robe, avec les cheveux longs et une barbichette est le légendaire Jimmy Carl Black, the Indian of the group.
“Let’s make the water turn black”
Vinyle :
La pochette parodie celle de Sgt Pepper de l’extérieur à l’intérieur en passant par les inserts, la moustache de Frank Zappa remplaçant celle du Sergent Poivre.