(United Artists 1972)
Sorti un an après Tago Mago, un des disques fondateurs du krautrock, Ege Bamyasi est le deuxième classique de CAN, qui va transcender le statut du groupe, comme Trout Mask Replica l’avait fait pour Captain Beefheart, ou Rock Bottom pour Robert Wyatt. Ces disques ne sont pas arrivés sous presse par accident, et connaître les premières œuvres de ces artistes aide à mieux appréhender leurs disques les plus personnels/expérimentaux/avant-gardistes/improbables.
Dans le cas précis de Ege Bamyasi, si on n’a jamais écouté CAN auparavant, il convient de ne pas s’attendre à de la pop sucrée au moment de poser le disque sur la platine… La dénomination la plus répandue pour qualifier les morceaux enregistrés par CAN est celle d’une “musique jouée par des drogués et pour des drogués”. On ajoutera ici : “Oui, et alors ?”. Il n’est pas indispensable d’être défoncé pour apprécier chacune des pistes d’Ege Bamyasi, pas plus que celles de Gong, de Pink Floyd ou de Van Der Graaf Generator.
Le morceau “Spoon”, sorti en 45 tours, avait connu un succès important (plus de 300 000 exemplaires vendus), ce qui a permis au groupe de louer de nouveaux locaux (un ancien cinéma) pour enregistrer un nouvel album. Malheureusement, les sessions n’ont pas été aussi productives que ce qui était prévu : Michael Karoli (guitariste) reprochait à Suzuki et Schmidt (respectivement au chant et aux claviers) de passer leur temps à jouer aux échecs. “Spoon” fut donc placé en fin d’album, par manque de nouvelles chansons.
Sur Ege Bamyasi, le groupe laisse place lors de nombreux morceaux à l’improvisation des musiciens – et à celle du chanteur, Damo Suzuki, très loin au-dessus de toute concurrence dans son domaine (il faut reconnaître que peu d’artistes prétendent, comme lui, chanter dans “la langue de l’Âge de Pierre”). Par rapport à l’album précédent, Tago Mago, les morceaux sont moins longs : “Halleluhwah” et “Aumgn” occupaient chacun une face vinyle ; ici seuls “Pinch” et “Soup” dépassent les six minutes. Ege Bamyasi est donc plus facile d’approche que son prédécesseur, et la plupart de ses morceaux sont simplement miraculeux : “Pinch”, “Sing Swan Song”, “Vitamin C”, “I’m so green”, autant de pistes devenues des classiques krautrock, emmenées par un chant prodigieux, des parties de claviers parfaites, et une des meilleures assises rythmiques de la décennie (le bassiste Holger Czukay, qui s’occupait aussi de l’enregistrement, et le batteur Jaki Liebezeit). “Spoon” termine l’album de façon magistrale, avec son introduction que se partagent la batterie et le synthé, avant l’arrivée des autres instruments et du chant de Suzuki, qui va quitter le groupe peu de temps après la sortie du disque1. Une basse hypnotique et chaleureuse, un jeu de batterie infaillible, des improvisations diverses à la guitare et aux claviers, un chant venu d’ailleurs : et CAN était au début des années soixante-dix un groupe phénoménal, dont l’écoute reste indispensable.
Liste des chansons :
1 Damo Suzuki, chanteur extraordinaire, a en effet quitté CAN pour se marier et devenir témoin de Jéhovah (c’est bien connu, un malheur n’arrive jamais seul).
Vidéo :
“Spoon”