JAROMIL SABOR – III

Bricolage de luxe

(Frantic City Records 2015)

C’est avec un soupçon de honte qu’on prend la plume pour vous parler de III, le dernier album de Jaromil Sabor1. En effet, si on connaît l’homme depuis un bon moment maintenant (les Très Vénérables Anciens avaient souligné la qualité son précédent groupe, Arthur Pym and the Gordons, à l’époque où il existait encore), on n’a jamais pris le temps de présenter ses premiers disques, pourtant excellents.

Mieux vaut tard que jamais, bien sûr, même si cette critique arrive probablement au moment où JaromilSabor en aura le moins besoin. Car après avoir gentiment galéré pendant 4 ans sur de tout petits labels ou en autopromotion, cet album est enfin publié sur une maison susceptible de lui apporter un auditoire plus large : Frantic City Records, dirigée par Bart de Vraantjik (également leader des remarquables Skeptics et de plusieurs autres petits groupes garage très recommandables), qui a offert suffisamment de moyens au jeune Bordelais pour que celui-ci puisse enregistrer un clip, bénéficier d’une promotion valable et tourner dans toute la France. Une excellente nouvelle, donc – presque aussi bonne, à vrai dire, que l’album qu’elle accompagne.

C’est avec grand plaisir qu’on retrouve sur ce disque tout ce qui faisait l’immense charme des précédents efforts de Jaromil Sabor. Celui-ci donne à nouveau dans une pop lo-fi qui rappelle parfois les premiers Tim Cohen ou The Coral, accorde toujours à la finesse d’écriture une importance primordiale et fait preuve d’une extraordinaire inventivité en matière de production. Ce disque fourmille en effet d’idées malignes, surprenantes et jamais gratuites, qui emmènent constamment les morceaux dans des directions délirantes : claviers désuets, cuivres pimpants, distorsions zinzin, accords jaillissant de nulle part ou mélodies à tiroir… III semble ainsi avoir été conçu comme une petite boîte à bonbons, pleines de sucreries acidulées et inattendues ; celui qui s’ennuie à l’écoute de pareille collection de morceaux est sûrement un triste sire, auquel nous adressons nos pensées les plus sincères.

De plus, il se dégage de III un sentiment d’allégresse réconfortant : il suffit d’abord de jeter une œil aux notes de pochette pour remarquer que l’album a été enregistré avec les copains, ce qui a sûrement un peu contribué à l’atmosphère du disque. Le groupe qui accompagne Jaromil Sabor est le même que sur La Santa Roja, son deuxième LP, et on trouve sur la face A une reprise d’« Until the end of the world », écrite par le groupe le plus australien de France, Chiens de Faïence (qui secondent d’ailleurs Sabor au chant sur cette chanson). Ce nom ne vous dira sûrement rien, et pour cause : Chiens de Faïence est un tout jeune groupe qui ne compte pour le moment aucune sortie physique à son actif, mais est composé d’excellents amis de Jaromil Sabor. Cette reprise, apparemment anodine, est en fait révélatrice de l’état d’esprit dominant : liberté de ton, camaraderie et absence de calculs paraissent guider les choix artistiques du maître à bord (il n’est pas cool de reprendre du Chiens de Faïence – pas encore).

Cet entrain se répercute sur la musique du disque, toujours un peu rigolote même quand elle se veut mélancolique : ainsi « Story of Lisa », une jolie ballade en mode mineur qui prend à mi-morceau des allures d’odyssée de poche, est-elle immédiatement suivie du bondissant et primesautier « What I’m Saying » (porté par un fantastique orgue de fête foraine). On remarque à ce propos que Sabor reprend goût au garage-rock après l’avoir plus ou moins délaissé le temps de ses premiers albums en solo. On trouve ici plusieurs morceaux braillards et sauvages dans la veine du formidable single d’Arthur Pym, parmi lesquels les très réussis « Knocked-Out Circus » ou « Seagrave Station » (qui devrait plaire aux amateurs des Madcaps).

Le morceau le plus représentatif de l’album est probablement « Becky Was A Carrion Siren », découpé en deux parties. La première (qui commence et se termine par les extraits d’une messe !), est une très jolie chanson d’amour, traversée de dizaines d’idées de production enthousiasmantes (une flûte, un xylophone, des claviers d’enfant, des cuivres, un choeur, un banjo… n’en jetez plus !). Le jeu de guitare, tout en retenue, s’avère particulièrement mélodieux, pour un résultat d’une irrésistible douceur. La seconde partie, qui déboule sans transition, sonne quant à elle comme un extrait du catalogue de Burger Records : garage-punk, foutraque, jubilatoire et insouciante. L’enchaînement est brutal mais trouve sa cohérence dans le côté joyeusement bordélique de l’ensemble ; c’est parfait.

En interview, Jaromil Sabor cite comme influence principale Greg Ashley. Ce dernier, leader des Gris Gris, s’est aussi fendu de quelques disques enregistrés seul, inconnus de presque tous mais vraisemblablement essentiels à tous ceux qui les connaissent. Alors que III tire à sa fin avec « Oracle Stone », qui clôt le disque sur un rythme de valse et une mélodie délicate, on se dit qu’il en va de même pour la musique de Jaromil Sabor qui, sans qu’on s’en aperçoive véritablement, demeure profondément ancrée dans l’imaginaire de celui qui l’écoute. Il semble que nous tenons là un artiste précieux, à l’imagination et l’humanité débordantes, qui s’impose lentement mais sûrement comme l’un des artisans incontournables de la pop française.  

 

 

Tracklisting

  1. Aedion *
  2. Knocked-Out Circus
  3. Until the End of the World
  4. Story of Lisa
  5. What I’m Saying *
  6. Becky Was a Carrion Siren (Part I) *
  7. Becky Was a Carrion Siren (Part II) *
  8. Seagrave Station
  9. Oracle Stone *

1 Inutile d’appeler la DDASS : ce nom étrange est un pseudonyme. Jaromil s’en est expliqué en 2012, lors d’une interview fleuve sur le blog Walking With The Beast (tenu par… les musiciens de Chiens de Faïence !) : « Les références sont très mal cachées. Elles sont même assez évidentes. C’est un mélange entre Kundera et Hergé. J’aime bien ce côté jeu de mots très foireux et maladroit, dans le genre “fausse bonne idée”, qui annonce l’esprit des enregistrements : un peu bancals et plein de défauts techniques. Surtout, je trouve que ça enlève beaucoup de prétention à la démarche de faire un projet solo. Tu ne peux pas trop te la péter quand tu t’appelles Jaromil Sabor, ou faire une pochette où t’as des lunettes de soleil sur une Harley. » Qu’ajouter, sinon que nous ne sommes guère étonné que cet homme-là produise d’aussi bons disques ?

L’album est en écoute intégrale sur Bandcamp : 

 

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Vinyle

 

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