(Moshi Moshi 2020)
Peu de gens le savent, mais Wesley Patrick Gonzalez est le plus grand poète de notre temps.
Depuis la dissolution de Let’s Wrestle (un de nos groupes indie préférés des années 2000), l’auteur-compositeur londonien mène une carrière solo passionnante. Après des premiers singles étranges durant lesquels il montrait un intérêt étonnant pour les claviers baveux et les vidéos lo-fi, Gonzalez a trouvé sa formule et publié un des albums les plus attachants de 2019 avec Excellent Musician, dans lequel il déployait une musique construite autour de synthétiseurs et de textes auto-dépréciatifs.
Pour son successeur, le chanteur pousse le concept beaucoup plus loin en emmenant sa musique dans des contrées très éloignées de l’idiome rock. Wesley Gonzalez concocte un pop synthétique construite autour de synthétiseurs plus abominables les uns que les autres pour les amateurs de rock’n’roll que nous sommes, avec des lignes de basse funky (“Wind Your Neck In”) voire disco (“Change”) sur lequel Gonzalez pose son chant las en contrepoint. Les guitares ont définitivement disparu de ses choix esthétiques, le piano restant le seul instrument acoustique à faire quelques apparitions (si on omet les quelques terrifiantes apparitions de saxophone). L’ensemble est aussi étrange qu’engageant : les chansons dépressives de Gonzalez sont portées par une musique joyeuse et libérée des codes du rock.
C’est aussi imprévisible que déroutant, d’autant que la teneur des texte de Gonzalez apportent à l’ensemble une dimension à la fois tragique et humoristique. On le sait depuis longtemps (et des morceaux tels que “I Won’t Lie To You” ou “Codeine And Marshmallows”), Gonzalez ne va pas bien, et ses chansons d’une brutale honnêteté sont pour lui un moyen d’exorciser ses démons et d’aller mieux. Le titre de l’album – Appalling Human, qui s’oppose à son prédécesseur à Excellent Musician, signifie humain affligeant – le démontre : Gonzalez n’a pas son pareil pour souligner et mettre en avant ses propres errances.
On retrouve sur cet album son premier single solo “Come Through And See Me” qui relate ses entretiens avec son psy et, assez étrangement, ne figurait pas sur son premier album. Il faut reconnaître qu’il colle mieux à la vibe d’Appalling Human, à moins que ce ne soit le contraire et que l’album ait été conçu pour suivre la direction entamée par ce morceau, celle de la musique la plus dépressive jamais imaginée pour enflammer un dancefloor.
On l’écoute ainsi disserter sur divers sujets plus lugubres les uns que les autres sur des mélodies accrocheuses. La palme revient toutefois à “Did You Get What You Paid For ?”, un morceau écrit dans l’idée qu’il soit joué le jour de ses funérailles, afin de pouvoir mettre une dernière fois mal à l’aise sa famille et ses amis (“Do you all love me ? Am I what you want ? Did you get what you paid for?”). Un texte hilarant, comme tant d’autres ici.
Rien ne devrait fonctionner ici, entre son chant erratique et son utilisation contre-intuitive des synthétiseurs, mais l’assemblage que concocte Gonzalez est en réalité absolument génial. Son groove dépressif est la bande-son idéale de 2020, année maudite entre toutes, et correspond à merveille à l’état d’esprit qui nous a habité ces derniers temps. Un besoin de dire les choses, de parler, de danser, de se réinventer. Avec Appalling Human, Wesley Gonzalez fait tout cela et même plus : il a écrit un des chefs d’oeuvre de son époque. Un disque appelé à devenir culte pour tout ceux qui l’écouteront et le chériront.
Tracklisting
- Tried To Tell Me Something
- Wind Your Neck In *
- Friend At First
- A Fault In Your Design
- Change *
- Come Through & See Me *
- Girl, You’re My Family Now
- Used To Love You *
- Fault Of The Family
- The Mice If I’m Sad
- Did You Get What You Paid For? *
Vidéos
“Change”
“Tried To Tell Me Something”
“Come Through And See Me”
“Did You Get What You Paid For ?”