(Cass Records 2015)
Que de malheurs ces temps-ci ! Au milieu de l’océan de mauvaises nouvelles qu’on sait, on se raccroche comme on peut à toutes les choses susceptibles de nous remettre un peu de baume au coeur. Parmi celles-ci : les copains, la Suze et le retour tant attendu des Soledad Brothers !
Séparés depuis 2006 après un dernier album somptueux marqué (lui aussi) par la perte et la tristesse, nos trois héros ont décidé l’an passé de se reformer, pour le plus grand bonheur de leurs inconsolables fans qui ne sont jamais vraiment parvenus à se résoudre à une fin aussi inexplicable et abrupte. (La nouvelle a été accueillie ici avec trois records successifs de bond de joie en hauteur – sport national de la planète Gong.)
Il faut dire que l’équipage avait jeté l’éponge au moment le moins opportun : 2006, c’est un ou deux ans avant la période où le garage-blues connaît un formidable regain d’intérêt, en grande partie grâce à l’écurie Alive Records (Black Diamond Heavies, Left Lane Cruiser ou Radio Moscow, pour les plus fameux). L’absence des Soledad Brothers laissait alors un vide difficile à combler, quand bien même ses anciens membres n’avaient pas chômé. En effet, au même moment, Johnny Walker menait de main de maître le supergroupe Cut In The Hill Gang, Brian Olive publiait deux très beaux disques chez Alive et Ben Swank s’embarquait dans l’aventure Third Man Records. Mais rien n’y faisait : les Soledad Brothers nous manquaient.
En dignes représentants de la lose made in Detroit, le groupe revient quand les beaux jours d’Alive Records ne sont plus qu’un bon souvenir et que le garage-blues ne passionne plus autant les foules. Peu importe, il a l’air décidé à en découdre. Pour célébrer ce retour, Walker et sa troupe se sont associés à Cass Records (le label de Ben Blackwell, lui aussi employé de Jack White chez Third Man) qui a mis les petits plats dans les grands : deux disques du groupe ont été publiés conjointement au début du mois, deux disques qui apparaissent comme les deux faces d’une même pièce – l’un rappelle d’où viennent les Soledad Brothers, l’autre fait office d’état des lieux pour 2015.
Le premier est une improbable réédition des plus anciens enregistrements du groupe connus à ce jour, publiés sur une cassette autrefois tirée à vingt exemplaires sous le titre de Master Supertone. Ceux-ci dataient de la fin des années 1990, Brian Olive n’était pas encore là mais Jack White – auquel, rappelons-le, Johnny Walker a tout appris ou presque, à commencer par la guitare slide – y jouait occasionnellement du piano et enregistrait le tout (sous le porche du fameux 1203 Ferdinand, prétend la légende). Le son est rudimentaire, à la limite de l’inaudible sur certaines pistes (la reprise de “Rocket 88” ou “Long Legged Baby”, ancêtre de “Shakey Pudding”), mais quiconque est habitué aux vieux enregistrements de blues sait que c’est la dernière chose dont il faut se soucier en pareil cas.
On retrouve déjà sur Master Supertone une bonne part de ce qui fait le charme éternel des Soledad Brothers, à commencer par la voix canaille de Johnny Walker, la frappe de mulet de Ben Swank et ce groove, ce Saint Groove fils de Boogie, auquel il est rigoureusement impossible de résister. En 1998, les Soledad Brothers avaient déjà tout compris. Malgré leur caractère pour le moins bancal, ces enregistrements sont une succession de moments de bravoure (les coups de pelle qui font office de rythmique sur “Johnny’s Death Letter”, qui dit mieux ?) qui réjouiront les fans et les amateurs de trve blves.
Le second disque est la véritable nouveauté du lot : un single enregistré cette année même dans le home studio de Brian Olive ! Dans le descriptif du site de Cass Records, Ben Blackwell nous interroge : “N’est-il pas à la fois rageant et réjouissant de voir un groupe se séparer, puis revenir meilleur que jamais ?” Meilleur que jamais, on ne sait pas, mais deux choses sont certaines : il n’est pas moins bon qu’avant, et il a rarement aussi bien sonné. “Human Race Blues”, en face A, nous fait la surprise de laisser le chant lead à Brian Olive. Qui s’en plaindra ? Sur un rythme martial et conquérant, il déclame des paroles graves avec le feeling soul qu’on lui connaît désormais. L’amateurisme originel n’est plus, le groupe est à présent impressionnant de savoir-faire dans un registre moins blues que rock’n’roll. En outre, ce morceau nous donne à entendre la plus belle fuzz de 2015.
Même si on n’en doutait guère, le trio rassure donc : il semble n’avoir rien perdu de sa superbe. L’impression est confirmée par “Soledarity” en face B, plus typique des précédents enregistrements du groupe. “Let’s have a good time !”, lance Walker avant de s’engager dans l’un de ces boogies effrénés et tubesques dont il connaît le secret mieux que personne. Quand arrive le solo d’harmonica survolté, on saute, on court partout dans son salon. Ça ne fait pas l’ombre d’un doute, les Soledad Brothers sont heureux de se retrouver et leur enthousiasme est hautement contagieux. Quel âge ont ces types ? Vieilliront-ils jamais ? Perdront-ils un jour la flamme ? On a bien du mal à le concevoir.
Récemment, Walker a annoncé sur les réseaux sociaux que plusieurs autres disques étaient dans ses tuyaux (en solo et avec son dernier projet en date, les All-Seeing Eyes). Etant donnés ces Master Supertone et Human Race Blues, on imagine mal les Soledad Brothers se retirer une seconde fois. Si nos calculs sont bons, Walker est ainsi engagé dans trois projets simultanés (quatre avec Cut In The Hill Gang ?) : il est donc encore permis de rêver de lendemains qui chantent. Avec pour seul mot d’ordre, bien sûr : Soledarity !
Tracklisting :
Master Supertone :
- Sugar and Spice
- Rocket 88
- Johnny’s Death Letter
- Bootleg
- Long Legged Baby
- Skidmore Texas
- Gimme Back My Wig
- St. Ides of March
- Little Red Rooster
Human Race Blues :
Face A : Human Race Blues
Face B : Soledarity
Les deux disques sont en vente à un prix abordable sur le site de Cass Records.
Vinyles :