(Polydor 1967)
Pantalons pattes d’eph immaculés, chemises à cols pelle à tarte, sourire niais, barbes de maquereaux, brushing travaillé, falsettos improbables, pas de danse délirants et boules à facettes… Toutes ces images nous envahissent le cerveau à la seule évocation du nom des Bee Gees. On a tous un pote ou un tonton lourdingue dont le sang entre en ébullition dès les premières notes de “Staying Alive”. Pour ces gens, comme pour l’immense majorité du reste de l’humanité, les Bee Gees sont le groupe derrière Saturday Night Fever, le symbole kitsch et festif des années 70, le groupe idéal pour les soirées alcoolisées en boîte de nuit.
S’il est incontestable que les frères Gibb ont marqué l’époque disco de leur empreinte et y resteront à jamais associés, l’histoire des Bee Gees n’a pas commencé en 1977 avec le film de John Travolta, mais plus de dix ans avant en Australie. Bien que d’origine anglaise, c’est là-bas que Barry et les jumeaux Maurice et Andy y ont vécu leur jeunesse et fondé les Bee Gees. Ils étaient alors un groupe beat qui, comme de nombreux autres, se plaçait dans le sillage des Beatles et autres groupes pop anglais. Après plusieurs singles et deux albums publié localement (intitulés The Bee Gees Sing and Play 14 Barry Gibb Songs et Spicks & Specks), les Bee Gees décidèrent d’aller en Angleterre tenter leur chance, sur la foi du succès du single “Spicks & Specks” fin 1966. Rapidement signés par le label Plydor, ils sortirent dès l’année suivante leur troisième album – leur premier en Angleterre – intitulé confusément Bee Gees’ 1st.
Avec ses arrangements psychés soft, cet album porte en lui toutes les influences de l’époque et la patte distinctive des frères Gibb (chœurs à trois voix, force mélodique, romantisme exacerbé), si bien qu’on peut le considérer comme le petit frère d’Odessey & Oracle des Zombies, en plus sirupeux. Cet aspect qui peut repousser est en partie dû à la candeur légendaire du groupe – toujours à la limite de la mièvrerie, notamment sur des morceaux comme “Red Chair Fade Away” ou “One Minute Woman” – et aussi au fait que l’album est riche d’arrangements symphoniques parfois indigestes, là où les Zombies avaient fait un travail naturaliste très dépouillé.
Pour le reste, Bee Gees 1st est un festival de mélodies pop de premier ordre, qu’on peut distinguer en deux catégories. Les morceaux d’héritage beat d’abord, sous forte influence Beatles, telle la superbe “In My Own Time” qui pourrait figurer sur Revolver, la superbe “Every Christian Lion Hearted Man Will Tell” et surtout l’immense “New York Mining Disaster 1941”. Dans le même genre, les Bee Gees jouent aussi quelques titres vaudevilliens typiques de l’époque comme “Craise Finton Kirk Royal Academy Of Arts”, sans doute influencés par l’ambiance légère du Swinging London. Le gros de l’album demeure néanmoins consacré à un exercice que les Bee Gees apprécient par-dessus tout : les ballades. On compte dans Bee Gees’ 1st de nombreux moments de grâce où les Bee Gees jouent la carte de la tendresse. Tous violons dehors, “Holiday”, “Cucumber Castle”, “I Can’t See Nobody”, “To Love Somebody” entraînent l’auditeur dans l’univers acidulé et délicat des frères Gibb. Si on considère ce single comme contemporain de l’album, on peut presque inclure “Massachussetts” et sa face B “Sir Geoffrey Saved The World” à la liste des grands morceaux romantiques composés par les Bee Gees à l’époque de Bee Gees’ 1st. Peu de groupe de l’époque peuvent se prévaloir d’une telle collection.
Certes l’album est sucré et peut paraître dégoulinant de mièvrerie dans ses pires moments et l’expression de béatitude affichée par les frangins quand ils chantent peut irriter autant que leurs brushings impeccables. Si on s’arrête à l’image, les Bee Gees sont un des groupes les moins défendables des années 60. Si on se fie uniquement à la musique qu’ils jouent sur Bee Gees’ 1st, ils n’ont rien à envier à Left Banke, Nirvana, Procol Harum, World Of Oz, Sagitarrius et l’essentiel des groupes cultes de pop symphonique. A vrai dire, ils sont même meilleurs. A une époque où le formatage radio n’était pas encore totalement de mise, où les Beatles régnaient en maîtres et où la Pop de qualité trustait les charts, les Bee Gees ont réussit ce que tous ces groupes visaient : séduire le public.
Trop sentimentaux pour être cool (il vaut mieux être cynique comme le Velvet Underground pour ça), trop populaires pour être appréciés par certains snobs, trop moches, trop accessibles auprès des ménagères de moins de cinquante ans, pas assez avant-gardistes, pas assez underground, les Bee Gees n’ont jamais droit de cité quand on évoque les grands groupes des années soixante. Si Bee Gees’ 1st est régulièrement écarté des sélections et tops d’albums psychédéliques, il n’en demeure pourtant un classique de la période psychédélique anglaise, son versant le plus pop.
Tracklisting :
- Turn of the Century *
- Holiday *
- Red Chair, Fade Away
- One Minute Woman
- In My Own Time
- Every Christian Lion-Hearted Man Will Show You
- Craise Finton Kirk Royal Academy of Arts
- New York Mining Disaster 1941 *
- Cucumber Castle
- To Love Somebody *
- I Close My Eyes
- I Can’t See Nobody
- Please Read Me
- Close Another Door
Vidéos :
“Holiday”
Vinyle :
Belle pochette psychédélique, assez classique de l’époque du Summer of Love.