(Topic Records 1958)
Aujourd’hui placé dans la catégorie des artistes quasi-légendaires dont plus personne n’écoute les disques, dont chacun a vaguement entendu le nom et qui sont reconnus pour avoir influencé de nombreux excellents artistes, Ramblin’ Jack Elliott mérite amplement que PlanetGong lui consacre enfin un article.i
Né en 1931 et originaire de Brooklyn, Jack Elliott a montré très tôt des prédispositions à devenir l’un des archétypes du chanteur de folk nord-américain : à l’âge de quinze ans, il s’enfuit du domicile familial pour rejoindre un rodéo itinérant, où il va découvrir un certain Brahmer Rogers… Fasciné par l’image du singing cowboy qu’il a devant lui, Jack Elliott décide de se consacrer à la musique folk ; il rencontre Woody Guthrie en 1950 et l’accompagne pendant quelque temps, s’imprégnant du style de Guthrie à un point tel que celui-ci prit l’habitude de qualifier le style de Ramblin’ Jack Elliott en disant : « Jack sounds more like me than I do».
Après son mariage en 1955, Elliott part pour un long voyage à travers l’Europe ; il ne sera de retour aux Etats-Unis qu’en 1961, et deviendra un modèle pour la scène naissante du folk de Greenwich Village (Tom Paxton, Phil Ochs, Bob Dylan, etc.). C’est en grande partie lui qui sert de modèle « vivant » à ces jeunes artistes qui n’ont jamais vu Woody Guthrie chanter et qui seront les figures principales du renouveau folk. L’une des particularités de Ramblin Jack Elliott est d’avoir publié ses premiers albums alors qu’il était en Angleterre ; avant 1955, il avait cependant déjà enregistré pour Jac Holzman, le fondateur du tout jeune label Elektra, qui avait publié Bad Men and Heroes(chansons enregistrées par Ed McCurdy, Jack Elliott et Oscar Brand).
Jack takes the floor présente les thématiques habituelles du folk, et Elliott affirme avec une grande aisance sa maîtrise du genre : introductions parlées, jeu de guitare dynamique et soigné, interprétation efficace… Il s’essaye au yodle et à l’harmonica sur la chanson de Jimmy Rodgers et de Vaughn Horton « Muleskinner blues » (interprétée depuis par un grand nombre de chanteurs, notammment CiscoHouston). Elliott livre aussi quelques reprises de chansons traditionnelles, ou qui en tout cas étaient déjà devenues des classiques du genre, indifféremment enregistrées par des chanteurs blancs ou noirs : « Boll Weevil» et « Salty Dog» bien sûr, mais aussi « Grey Goose », dont la version de Leadbelly est restée la plus célèbre.
Cet album, sorti originellement au format 10’’, commence par une reprise très réussie de la magnifique chanson de Jesse Fuller, « San Francisco Bay blues», où les intonations de Ramblin’ Jack Elliott préfigurent celles de Dylan (en particulier le chant en toute fin de phrase – la ressemblance apparaîtra évidente aux amateurs de Dylan). Cette parenté est également tangible sur la chanson « Dink’s song », dont il le semble évident que le chant a marqué (sinon façonné) celui du jeune Bob Dylan (« One of these days any morning,you’re gonna call my name and I’ll be gone »). La fin de la face A voit l’arrivée sur ce disque de Woody Guthrie, maître et inspiration de Ramblin’Jack Elliott : comme un symbole, c’est « New York town » qu’ils jouent ensemble… Difficile de ne pas voir dans cela une passation de témoin entre Guthrie et Elliott, et l’assentiment du maître à son disciple le plus fidèle. Dans l’introduction de « Cocaine », Ramblin’ Jack Elliott explique qu’il a appris ce morceau grâce au Reverend Gary Davis (une autre figure importante de la musique folk nord-américaine, sur laquelle nous reviendrons prochainement). Cette chanson est l’occasion d’apprécier le jeu de guitare très délicat de Ramblin’ Jack Elliott et son interprétation impliquée et poignante.
Sorti en Angleterre en 1958, Jack takes the floor est un album important de la scène folk nord-américaine ; une sorte de passage obligé pour l’amateur qui souhaite progresser dans son appréhension des disques de l’ensemble des artistes de la scène new-yorkaise des années 1960.
Tracklisting :
- San Francisco Bay blues *
- Ol’ Riley
- Boll Weevil*
- Bed Bug blues
- New York Town
- GreyGoose *
- Mule Skinner blues
- Cocaine *
- Dink’s song *
- Black Baby
- Salty Dog
Vidéos :
“San Francisco Bay Blues”
i Il me semble déjà lire les commentaires des plus acrimonieux de nos lecteurs : « Bande de jean-foutre, au lieu de pondre des introductions qui expliquent pourquoi vous n’avez pas parlé plus tôt de tel ou tel article, essayez de sortir des articles à un rythme qui ressemble à quelque chose. » A ceux-là je réponds d’ores et déjà : « un peu de tenue, jeune homme. » J’ajouterai également que le dernier album en date de Ramblin’ Jack Elliott est sorti en 2009, et qu’il vaut le détour (le disque s’intitule A Stranger here, il est composé exclusivement de reprises et a été publié par le label ANTI-).