L’ambiance n’est pas à la fête chez Bobby Hecksher. La page des odes hédonistes aux fragrances opiacées des débuts (“Cocaïne Blues”, “Shake The Dope Out”, “The Dope Feels Good”, “Hurricane Heart Attack”) est tournée depuis longtemps. Overdose, gueule de bois, autodestruction, folie, dépression et désillusion étaient magnifiquement documentés dans le traumatique appel au secours qu’était Surgery en 2005. “Come save us ! From ourselves…“.
Depuis, les Warlocks ont continué leur trajectoire maudite vers le néant et le chaos. Séparations, matériel volé, état de banqueroute provoqué par le procès intenté par un ancien membre du groupe, défection du label Mute… la guigne n’est jamais loin de Bobby Hecksher. Pendant une longue période, The Warlocks ont purement et simplement cessé d’exister.
Début 2007, un message émanant du MySpace du groupe atteint notre boîte aux lettres : The Warlocks cherchent un bassiste dans la zone de San Francisco/Los Angeles. Quelques mois plus tard, l’album est là, magnifique, et… terriblement dépressif. Le ton employé sur Heavy Deavy Skull Lover par Hecksher est très proche de celui de Surgery, en plus désabusé encore. Leur précédent album était un appel au secours, le dernier est d’une noirceur qui ne porte en elle aucun espoir. Le titre des chansons reflète toujours l’ambiance du moment chez les Warlocks. C’est assez éloquent ici : “The Valley Of Death”, “So Paranoid”, “Zombie-Like Lovers”, “Dreamless Days”, “Death, I Hear You Walking”. On n’aimerait pas être dans la tronche du mec qui a pondu ces titres.
The Warlocks sont sans doute la dernière chose qui permettent à l’âme troublée Hecksher de trouver un quelconque intérêt à la vie. Il y jette tout son art, tout son talent, toute son âme et interprète les morceaux avec une voix désincarnée qui glace le sang. Ceux qui aimaient les accords majeurs du space-rock originel vont devoir apprendre à aimer les accords mineurs de cette musique sous-sédatifs pour grands dépressifs. Moins Hawkwind, plus Sigur Ros, le space-rock des Warlocks est aussi festif qu’une veillée mortuaire. La personnalité du groupe n’en demeure pas altérée pour autant : le son est toujours là. Ample, caverneux, trippant, étouffant, empli de trouvailles et de sonorités étranges.
The Warlocks n’ont rien perdu de leur mystique et savent toujours proposer des mélodies intenses et inoubliables. Les symphonies noisy de Hecksher sont désormais taillées pour le cinéma, proposant d’avantage des ambiances que des chansons à structure couplet/refrain. Chaque morceau dure au moins cinq minutes, et l’ensemble rapproche les Warlocks de groupes tels Spiritualized ou le Red Krayola des débuts free-from freakout.
L’écoute de cet album désespéré peut à la longueur s’avérer éprouvante. Triste, magnifique, mais pesant – un peu comme écouter la coda de “Jugband Blues” pendant cinquante minutes, le genre de truc qui donne envie de se tirer une balle. Les morceaux ont néanmoins assez de personnalité et de créativité pour qu’on puisse apprécier l’incroyable talent d’écriture de Hecksher.
Les deux premiers morceaux forment une sorte de symphonie en deux actes basée sur la des variations autour d’un même thème. “The Valley Of Death” commence en arpèges à la guitare acoustique avant que le groupe ne prenne son envol pour lancer le chant plaintif de Bobby Hecksher. La suite, “Moving Mountains”, reprend la même grille en ralentissant le tempo et en proposant une ambiance lourde, morbide, où la voix du chanteur est placée très loin dans l’arrière plan. La forme de l’ensemble rappelle les passages les plus sombres de The Virgin Suicides. Ce morceau qui s’étire sur dix minutes subit une évolution notable à 6:26 après un long passage noisy. Le tempo remonte, le groupe revient progressivement sur une rythmique krautrock et s’emballe un peu. Les trois seules minutes de l’album où on retrouve le groove des Warlocks d’antan, si on omet “Zombie Like Lovers” qui ne se démarque de “Come Save Us” que par ses paroles.
Pour le reste, le groupe de Bobby Hecksher n’hésite pas à partir dans des trips étranges, comme le krautrock floydien de “Death,I Hear You Walking” qui termine l’album ou les 3 minutes de larsen d'”Interlude In Reverse”, morceau en bandes inversées qui évoquent Metal Machine Music. La clé se trouve peut-être dans cette chanson : plus que sur aucun autre album des Warlocks, l’ombre du Velvet Underground plane. Le groupe de Lou Reed, à l’instar de The Grateful Dead, se nommait The Warlocks à ses débuts. Sur “Paranoid”, on retrouve le même genre d’ambiance que sur “Heroin” ou dans les moments les plus sombres de l’album White Light / White Heat. Un bruit blanc, étouffant.
Hecksher, en période cold turkey, cherche des réponses à son mal-être dans l’œuvre d’un autre grand opiomane. Bien lui en a pris, cet album est une autre réussite à mettre à l’actif des Warlocks.
Tracklisting :
- The Valley Of Death *
- Moving Mountains
- So Paranoid *
- Slip Beneath
- Zombie Like Lovers *
- Dreamless Days
- Interlude In Reverse
- Death, I Hear You Walking *
Vidéo :
“The Valley Of Death”
Vinyle :