(Septembre 1967 Buddha Records)
“Le meilleur album de tous les temps”. Ce n’est pas nous qui l’affirmons, mais John Lennon (et nous nous garderons bien de lui donner tort à ce sujet).
Pourtant, dire que l’enregistrement de cet album (encore terriblement méconnu) fut difficile est un euphémisme… Fraîchement refoulés par A&M Records, le capitaine Don Van Vliet et ses sbires souhaitaient en arrivant à Buddha Records enregistrer rapidement de nouvelles chansons. Premier accroc : avant même les premiers jours en studio, Paul Blakely (le batteur) fut remplacé par John French. Après quelques sessions, Beefheart remercia l’un des deux guitaristes, Doug Moon, qu’il jugeait incapable de jouer convenablement. Le producteur initialement prévu, Gary Marker, qui avait fait venir son ami guitariste Ry Cooder, fut lui aussi mis à la porte, et remplacé par Bob Krasnow et Richard Perry.
A cause du nombre ahurissant de musiciens de studio engagés, et à l’absence de renseignements précis sur le déroulement des séances, définir les musiciens présents sur chaque chanson est impossible (parmi les “invités”: Russ Titelman, Milt Holland, Taj Mahal et Sam Hoffman). Le line-up “classique” du Magic Band début ’67 était le suivant: John French à la batterie, Alex “St Clair” Snouffer et Ry Cooder aux guitares, Jerry Handley à la basse, et Don Van Vliet au chant, à l’harmonica et au marimba.
Le deuxième mystère (outre le “Qui joue de quel instrument sur quelle chanson?”) concerne l’écriture des morceaux; la plupart des chansons sont co-signées “Don Van Vliet / Herb Bermann”. Ce dernier, dont on n’a toujours pas vu la moindre photo, et dont personne n’a jamais entendu parler avant la sortie du disque, qui est-il? Bob Krasnow explique avoir été présenté à Bermann par Beefheart en deux occasions, et qu’il avait rencontré deux personnes différentes. Il est donc plus que probable qu’Herb Bermann n’ait jamais existé ailleurs que dans l’imagination de Beefheart.
L’enregistrement fut réalisé en moins d’un mois, Ry Cooder (dont le talent à la slide éclabousse tout l’album) servant d’intermédiaire entre Van Vliet et le reste du groupe. L’album s’inspire directement du Rhythm’n’Blues; on pense immanquablement à Howlin’ Wolf, pour quelques attaques de guitare, précises et acérées, mais aussi (et surtout) pour la voix, l’organe de Beefheart restant le seul à soutenir la comparaison avec celui de Chester Burnett. Beefheart, à 23 ans possédait une voix invraisemblablement rauque et puissante. Safe As Milk n’est pas seulement un disque de R’n’B, il est blues jusqu’à la moelle, psychédélique dans les formes. Dès la première chanson (“Sure ‘Nuff ‘N Yes I Do”), l’auditeur se trouve immergé dans l’univers de Beefheart, qui profite ici d’un son extraordinairement saturé et lourd. Safe As Milk ne trahit aucune chanson de remplissage: douze pistes en moins de trente-quatre minutes, un hommage au Doo-Wop (“I’m Glad”), peut-être pour se rappeler au bon souvenir de Zappa, une intervention parlée de Richard Perry en début de face B (“The following tone is a reference tone, recorded at our operating level“).
Faciles d’accès – on est encore bien loin de Trout Mask Replica – mais néanmoins de constructions complexes (rythmes qui changent, impromptus d’harmonica ou de guitare), les morceaux de Safe As Milk sont monstrueux : la scie “Dropout Boogie”, la ballade dézinguée “Yellow Brick Road”, le tribal “Abba Zaba”… Sur cet album, chacune des chansons peut prétendre être la meilleure du disque. Souvent citée comme la référence, on trouve en “Electricity” un morceau de bravoure insensé. Une partie de theremin, jouée par Sam Hoffman, dialogue avec Beefheart, qui pousse sa voix à la limite de la rupture sur un rythmique bondissante. La dernière chanson, “Autumn’s Child”, est également une pure merveille: ouverture à la guitare, changements de tempo, basse monumentale, theremin lancinant, et Beefheart définitivement seul au monde.
Tracklisting :
- Sure ‘Nuff ‘N Yes I Do *
- Zig Zag Wanderer
- Call On Me
- Dropout Boogie *
- I’m Glad
- Electricity *
- Yellow Brick Road *
- Abba Zaba *
- Plastic Factory
- Where There’s Woman *
- Grown So Ugly
- Autumn’s Child *
Vidéos :
“Sure ‘Nuff ‘N Yes I Do” (à Cannes)
Vinyle :
Cette édition de l’album est assez étrangement intitulée Dropout Boogie.
Bonus :
Pour ceux qui se demandent ce qu’est un Abba Zaba, voici un indice :
On termine par une photo de John Lennon chez lui en 1967 :