(DGC 1991)
Parcourir la presse peut vite s’avérer fatigant. Comment ne pas éprouver une certaine lassitude en à la lecture de ces articles délirants qui placent Nirvana au firmament du rock? Depuis quelques annees, un consensus mou s’est dégagé : Kurt Cobain est le plus grand genie ayant jamais mis les pieds sur terre, Nevermind est un des chefs d’oeuvre ultimes du rock, etc. Relisez vos magazines : Rock’n’Folk, Q, NME, Mojo… tous versent dans cette veine mystificatrice aujourd’hui.
Qu’il est bon pour tous ces canards de brosser dans le sens du poil les petits frères collégiens en manque d’icones et fascinés par le destin morbide de Kurt Cobain… Il est sans doute aussi cool en 2006 qu’en 1991 d’être un ado et d’arborer un t-shirt Nirvana. Porter aux nues le suicidé le plus célèbre du rock et en faire une icone ne peut pas faire de mal aux ventes auprès d’un public acquis.
Pour autant, les millions d’albums vendus par Nirvana et la béatification de Kurt Cobain n’ont jamais fait de Nevermind un grand album. Quinze ans après, la production FM de Butch Vig (aussi responsable de la superchérie Garbage) sonne toujours autant policée et peu représentative du véritable son crade qu’affectionnait le groupe (écoutez Bleach ou In Utero pour comprendre) – un saccage à vrai dire. Si les mélodies sont là, on ne peut que regretter qu’elles soient aussi maltraitées par un sorcier du son qui a rendu le groupe assez inoffensif pour lui faire vendre des millions d’albums. Cobain ne supportera jamais cette compromission.
Evidemment, “Smells Like Teen Spirit” et son attaque de guitare est un classique punk 90s (qui a dit grunge?), un des meilleurs singles de tous les temps, l’hymne universel de la jeunesse paumée. C’est aussi un peu l’arbre qui cache la forêt car hormis “Come As you Are” (et son intro qui en a fait le nouveau “Smoke On The Water” pour apprentis gratteux), l’extraordinaire “Lithium”, et les quelques ballades acoustiques (“Polly”, “Something In The Way”), l’album fonctionne sur une unique formule, plutôt répétitive, basée sur le fameux ‘couplet chanté/refrain hurlé’ cher aux Pixies, mélant énergie punk et beuglerie métal. “Lounge Act”, “Stay Away”, “Territorial Pissings” sont des excellentes montées d’adrénaline mais aussi des morceaux de remplissage, que seuls les textes désabusés de Kurt Cobain, au pessimisme noir et à la froideur glaciale, sauvent de l’ennui. Car si Cobain est encore aujourd’hui une icone pour les kids, c’est aussi grace à ses écrits dépressifs tendance no future qui synthétisent le mal-être de ceux qui se sentent inadaptés, mal dans leur peau et en rebellion envers le monde entier. Les ados quoi, et quelques adultes refusant de vieillir…
Nevermind est un album correct, certainement surestimé, mais loin d’être mauvais. Une demi-douzaine de chansons ici sont extraordinaires et ont valu à ce disque de se vendre de façon indécente (10 millions d’exemplaires) et d’offrir à Cobain ce rôle de porte-parole d’une génération qu’il ne souhaitait pas jouer. Le reste est à oublier, entre mélodies poussives et production datée, typique du Los Angeles des années 90.
Ce qu’on enlèvera jamais à cet album en revanche, c’est son importance. Il aura eu le mérite de rendre obsolète le pantomime rock cliché de groupes comme les Guns & Roses et Motley Crue et de remettre le véritable rock’n’roll sur de bons rails (fini la soupe 80s!) en poussant des milliers de jeunes à prendre une guitare (même si malheureusement, une grosse partie de ces fans de Nirvana sont aujourd’hui le principal vivier de la scène emo/métal qui nous irrite tant…). Un disque inégal donc, qui a changé beaucoup de choses et demeure un des disques-repère des années 90, sans pour autant en être le meilleur…
Tracklisting :
- Smells Like Teen Spirit *
- In Bloom
- Come as You Are
- Breed
- Lithium *
- Polly *
- Territorial Pissings
- Drain you
- Lounge Act
- Stay Away
- On a Plain
- Something in the Way *
Vinyle :