(Matador 2008)
Qu’il est bon ces jours-ci de voir la presse rock encenser un des unsung heroes de la scène garage-rock nord-américaine!
Depuis la dizaine d’années qu’il arpente la scène avec ses multiples groupes (Reatards, Lost Sounds, Terror Visions, pour citer les moins obscurs), Jay Reatard a eu le temps de se construire une discographie longue comme le bras, à la fois erratique et magnifique. Hyperactif, prolifique, stakhanoviste, sont les qualificatifs les plus souvent associés au patronyme Jay Reatard. Le genre de personne à avoir mille idées à la seconde, il passe son temps à écrire et enregistrer des morceaux (quand il ne tourne pas ou qu’il ne produit pas les enregistrements d’autres groupes comme Brimstone Howl). Après des années d’activisme anonyme, Jay Reatard vient de basculer dans un autre monde. Son dernier album, Matador Singles ’08, récolte des lauriers dans toute la presse rock internationale, et du jour au lendemain le sale gosse de Memphis est devenu cool[1].
Matador Singles ’08 (qui arrive moins de 6 mois après une compilation de singles sortie en avril sur In The Red [2]) est à ce jour son projet le plus ambitieux : d’avril à septembre 2008, Reatard a sorti un single par mois sur son nouveau label (Matador, populaire label indépendant à la structure similaire à certaines majors) en édition limitée. Devant le succès de cette opération (chaque single 7″ est désormais en rupture de stock), le label a compilé ces morceaux – faces A et B – en un album proche de la perfection. Hormis “Fluorescent Grey”, reprise d’un morceau des shoegazers Deerhunter, tous les morceaux présents ici sont des originaux de Reatard, sur lesquels il chante et joue de tous les instruments.
Si on note une continuité dans le traitement lo-fi de tous les morceaux (distortion, batterie étouffée, chœurs rudimentaires, clavier intermittent), le tracklisting de Matador Singles ’08 présente les morceaux de façon chronologique, ce qui permet d’observer l’évolution intéressante de l’écriture de Reatard ces derniers mois : aux premières saillies garage-rock attendues succèdent ainsi des morceaux d’approche plus pop, emballés dans un écrin noisy plus inspiré de Pavement que des Dirtbombs ou des Oblivians. Seule constante sur cet album : la qualité d’écriture, toujours excellente. Jay Reatard, qui de son propre aveu se moque des textes de ses chansons (préférant vouloir faire passer des “humeurs” plutôt que des messages), laisse le soin à ses mélodies de frapper l’auditeur par leur immédiateté. Quoi qu’il en dise, ses refrains possèdent quelques lignes mémorables (“She creeps me out ! She creeps me in again…” sur “See Saw”) qui font des meilleurs singles de cette collection des véritables tubes garage-pop.
De la power-pop façon Supergrass de “Screaming Hand” et “An Ugly Death” (deux des morceaux de l’année) à la noisy-pop de “See Saw”, en passant par le garage teigneux de “Hiding Hole” et “D.O.A.”, la pop indé de “You Mean Nothing To Me” ou le folk bruitiste de “No Time”, Matador Singles ’08 voit Jay Reatard enchaîner les morceaux de grande classe et arpenter des styles divers avec une nonchalance je-m’en-foutiste. La classe à l’état pur. Après les albums formidables de Brimstone Howl, des Black Angels, The Muggs, Human Eye et autres Buffalo Killers, cette collection spectaculaire confirme un peu plus notre impression sur l’année 2008, à savoir qu’en ce qui concerne le rock’n’roll, les américains ont bel et bien repris la main.
Tracklisting :
1. See Saw *
2. Screaming Hand *
3. Painted Shut
4. Ugly Death *
5. Always Wanting More
6. You Mean Nothing to Me
7. Fluorescent Grey (Deerhunter)
8. Trapped Here
9. Hiding Hole *
10. DOA
11. No Time
12. You Were Sleeping *
13. I’m Watching You
Pour découvrir l’album, le mieux est d’aller traîner sur Deezer : www.deezer.com/#music/album/220325
Vidéo :
“Always Wanting More”
Vinyle :
L’album possède un livret qui reproduit les pochettes des singles de la compilation. Sur cette photo, on peut distinguer le recto et le verso du single “Painted Shut” / An Ugly Death”.
[1] Il vient d’entrer en 22e position dans la fameuse (et vaine) Cool List du NME cette année.
[2] Singles 06-07, qui contient la bagatelle de 17 morceaux publiés en dehors de l’album Blood Visions de 2006.