(Full Time Hobby 2012)
Comme vous l’imaginez sans doute, la rédaction de PlanetGong est quotidiennement assiégée de courriers et de sollicitations interlopes en tous genres, notamment de multinationales du disque cherchant à tout prix à nous corrompre afin de profiter de notre prestige et de notre renommée internationale. Dieu sait qu’on reçoit de la soupe par hectolitres, mais jamais ô grand jamais nous ne laissons l’odeur de la corruption nous émouvoir. L’intégrité est à ce prix, et tant pis pour les dessous de table à six unités, passes VIP à Roland Garros et cocaïne en tupperware.
Parmi la pile de disques qu’on reçoit et que l’on écoute avec cette conscience professionnelle qui a fait notre réputation dans le milieu fermé des faiseurs d’opinion influents, rares sont ceux parfois de nature à nous émouvoir – snobisme oblige. C’est pourtant ce qu’est parvenu à faire Hooded Fang, groupe canadien signé en Europe chez les excellents Full Time Hobby (qui ont entre autres publié des albums de Let’s Wrestle et White Denim). Au premier abord c’est la pochette qui nous a séduit, avec son dessin de catcheur mexicain et ses couleurs pastel rappelant le premier album des Bees et les premiers singles de Let’s Wrestle. On a ensuite glissé le CD dans la platine chromée qui orne notre buffet Louis XV en merisier de Hongrie, et ô surprise, l’album s’est avéré étonnant.
Intitulé Tosta Mista, ce disque, le deuxième de Hooded Fang, narre en 23 minutes de pop lo-fi colorée et acidulée la séparation entre le chanteur Daniel Lee et la bassiste April Aliermo. Chez de nombreux groupe de hipsters à chemises à carreaux et lunettes carrées, une telle thématique aurait abouti à un album triste, avec un chanteur geignant tout en hochant la tête et en fermant les yeux devant des arpèges appuyés. Chez ces étonnants Hooded Fang, cette rupture agit comme un moteur à explosion qui donne une dynamique rock’n’roll aux morceaux du groupe (qu’on ne trouve d’ailleurs aucunement dans son premier album à l’indie-pop sage et lénifiante).
Ainsi l’album respire l’insouciance et la joie de vivre sous une forme pop garage, et alors que Daniel Lee chante des textes nostalgiques évoquant sa rupture, c’est néanmoins avec le sourire qu’on écoute cet album tourbillonnant d’énergie, riche de sons exotiques et de mélodies aussi diverses qu’attachantes. Hooded Fang fonctionne selon une recette qui paraît simple au premier abord mais relève de la mécanique de précision : rythmique surf basique, guitare aux staccatos débonnaires, claviers extraterrestres, chœurs chamallow sur les refrains et attitude nonchalante sur le chant. Cette façon désintéressée de balancer de pépites ensoleillées évoque tantôt les Growlers, parfois Sunny & The Sunsets. De la pop barbapapa assez enlevée pour transformer l’indifférence en enthousiasme, où les grands morceaux sont légions : l’ouverture “Clap” qui ouvre l’album avec panache, “Brahma”, le morceau le plus tubesque du lot avec son refrain qu’on ne cesse de siffloter, le morceau-titre “Tosta Mista” qui sonne comme Thee Oh Sees reprenant ” Temptation Inside Your Heart”.
L’album, extrêmement court – et borné d’intermèdes instrumentaux tex-mex étranges – compte sept vrais morceaux et s’écoule extrêmement rapidement. On y revient souvent, tant il s’en dégage une atmosphère mélancolique aigre-douce plaisante. Trop pop et coloré pour plaire aux fans de garage psychédélique, mais trop lo-fi et enjoué pour attirer les poseurs neurasthéniques lecteurs des Inrockuptibles, ce Tosta Mista vient combler un certain vide en ces temps où la pop vit ses plus ombres heures. Un shot de pur bonheur.
Tracklisting :
1. Big Blue i
2. Clap *
3. ESP
4. Brahma *
5. Tosta Mista *
6. Big Blue ii
7. Jubb
8. Vacationation
9. Den of Love
10. Big Blue iii
L’album est en écoute intégrale via Bandcamp :
Vidéos :
“ESP”