(Third Man 2018)
Après des mois de teasing intense, Jack White a enfin pondu ce troisième album que seuls ses fans les plus aguerris attendaient encore, avec à la clef une vraie surprise : le guitariste sort enfin de sa retraite country/americana
En 2012, son premier album solo avait été un immense succès et avait prouvé que le modèle économique de Third Man fondé sur le vinyle pouvait fonctionner. Blunderbuss n’était pas génial mais fonctionnait très bien, et White parvenait à composer son inspiration en berne par des arrangements sophistiqués et des performances de haute volée de la part de ses musiciens.
Mille choses se sont passées depuis, comme son pharaonique projet The American Epic Sessions, l’ouverture de son usine de pressage et d’une boutique Third Man à Detroit, et Jack White a fini par accéder à la demande de ses fans en offrant un successeur à Lazaretto. Seul problème, White, s’il ne manque pas de bonnes idées originales et de projets pour son label, n’a pas écrit de grande chanson depuis plus d’une décennie et peine à retrouver la flamme. Meg White était elle sa muse ? Il est intéressant de noter que depuis le retrait de cette dernière, White n’a écrit aucun titre vraiment mémorable.
Le pire dans tout ça, c’est que White le sait et doit être meurtri de cette situation. Alors, il a décidé de se mettre en condition de réussir, avec comme idée celle de revenir aux sources de sa créativité : la contrainte. Il l’a souvent dit en interview, White a construit les White Stripes avec un nombre de codes et de limites afin de mettre à contribution son imagination et tirer la quintessence d’un minimalisme conceptuel. “Less Is More” est son dogme, qu’il appliquait même à ses fans et son artwork (souvenez-vous de De Stijl).
Or, depuis des années, a politique de Jack White verse plutôt du côté “More Is Better”. Third Man sort une ribambelle de disques par an (qu’il est impossible de suivre), dans des formats toujours plus excentriques (tricolore, avec de l’eau dedans, …), si bien que son entreprise ressemble désormais à une sorte de Disneyland du vinyle, au détriment de sa production artistique personnelle (notons au passage que la plupart des publications de Third Man sont fantastiques, surtout quand le label réédite des obscurités de la scène de Detroit ou du blues)
Ainsi Jack s’est isolé dans un appartement en ville, avec juste sa bite et son couteau (soit un magnétophone à bandes et un carnet de notes) afin de retrouver sa sève créatrice et se surprendre à nouveau. De cette retraite monacale est né Boarding House Reach, qui ne ressemble résolument à rien de ce que White a produit auparavant. A vrai dire, il ne ressemble à rien de connu.
Cela pourrait être une bonne chose. Le seul problème réside dans le fait que les chansons que comprend cet album sont d’une platitude désolante. Certes l’emballage à bases de synthétiseurs et de beats électroniques est surprenant (et parfois bienvenu), mais dépouillez chaque chanson de ses gimmicks pour n’en garder que le squelette et il ne reste que les mêmes plans mille fois entendus chez White (comme “Over And Over And Over” qui ressemble à un mélange de tous les albums de Dead Weather). Malgré toutes ses tentatives – et on ne peut qu’être admiratif devant son opiniâtreté – Jack White n’arrive plus à composer de grandes chansons. Le constat est terrible
Le pire dans tout cela, c’est que Boarding House Reach est peut-être le meilleur album solo de son auteur (ce qui ne veut pas dire grand-chose, convenons-en), de par sa prise de risques, son côté WTF étonnant, et surtout parce que c’est celui dont les morceaux sont au final les plus marquants. Le groove de “Corporation”, sorte de musique d’ascenseur funky du futur fonctionne bien (mais s’étire quand même sur près de six minutes), celui d'”Ice Station Zebra”, sur lequel il rappe de façon plutôt convaincante, aussi. Mais tout de même, il faut un degré de patience (ou de déni) immense pour arriver au bout de ce disque.
Tracklisting
- Connected By Love
- Why Walk A Dog?
- Corporation *
- Abulia And Akrasia
- Hypermisophoniac
- Ice Station Zebra *
- Over And Over And Over
- Everything You’ve Ever Learned
- Respect Commander
- Ezmerelda Steals The Show
- Get In The Mind Shaft
- What’s Done Is Done
- Humoresque
Vidéos
“Over And Over And Over”
“Corporation”