(Tricatel 2008)
Drôle d’impression à première écoute… On avait aimé les deux premiers 45 tours des jeunes Shades (“Le Temps Presse” et “Le Prix à Payer”, tous deux produits par l’immense Bertrand Burgalat), bien au dessus de la concurrence en matière de rock’n’roll (Naast ! Plasticines ! BB Brunes !). Erudits, élégants et dotés d’un son sixties travaillé, les hommes en blanc d’Alfortville semblaient bien armés pour devenir le groupe emblématique de la nouvelle scène parisienne. Seule la voix du chanteur nous gênait alors : timbre juvénile, manque de coffre, chant un rien affecté. On se disait qu’avec le temps – et un régime strict clopes / whiskey – ce problème serait résolu.
Dès les premiers instants de ce Meurtre De Vénus, on se rend compte qu’on s’est peut-être emballé un peu vite au sujet des Shades. Le problème de la voix ne semble pas vraiment réglé ; au contraire il s’est amplifié. La voix de Benjamin Kerber est passée par divers filtres, légèrement vocodée, doublée par moments, pour un résultat étrange, peu convaincant. On apprécie les groupes qui savent prendre des risques. Mieux, on encourage vivement ces prises de position courageuses qui font les grands groupes. L’ennui, pour les Shades, est que Le Meurtre de Vénus est leur premier album, alors pourquoi s’égarer dans des versions revisitées de leurs premiers singles ?
A l’origine un combo garage-sixties au son cristallin, les Shades ont muté en groupe French-pop synthétique au son caverneux et dénué d’aspérités. Le claviériste est manifestement celui qui a gagné le plus au change dans l’histoire tant il est placé en première ligne du début à la fin de l’album. Si la basse élastique – le moteur du groupe – qui donne aux Shades un groove unique a survécu au traitement, les guitares jadis cinglantes sont noyées dans le mix et placées en retrait (sauf lors d’une paire de solos spectaculaires). L’écoute successive des deux versions de “Le Prix à Payer” est terrifiante. Sur le 45t on entend un groupe fougueux prêt à tout casser, sur la version album, on entend ces mêmes gens jouer faire une molle démonstration de leurs talents. Seul un pont psychédélique en fin de morceau réveille la machine et nous prouve que ces Shades ont bien un talent fou.
Une fois qu’on a intégré le son de l’album – et la déception qui va avec – Le Meurtre de Venus révèle quelques bons moments. Après l’intro magistrale signée Burgalat, le groupe lance avec “Vénus” une comptine pop plutôt réussie, avant un “De Marbre” cosmique à souhait. Sur ce morceau à l’ambiance space/SF, les Shades font étalage de toute leur classe. Le son est ample, empli de trouvailles sonores rétro-futuristes réjouissantes. Dans le même genre, “Orage Mécanique” tire son épingle du jeu (c’est sans doute le morceau qui a le mieux subi la transition single/album), tout comme “L’Enfant Prodige” qui part dans des délires atmosphériques (que les amateurs de Moon Safari et The Sssound Of Mmmusic sauront apprécier). La mélopée “Les Yeux Fermés” ou le magnifique baroud final “Au Crépuscule”, qui reprend le thème de l’intro, sont idéales pour rêvasser, la tête dans les étoiles.
Malheureusement, Le Meurtre de Vénus possède aussi sa part d’ombre. Lors des longues ballades qui affaiblissent l’album, le choix du chant en français et le mix en avant de la voix du chanteur rendent l’écoute difficile. Si les Shades sont géniaux avec leurs instruments, les textes oscillent entre le très bon et le catastrophique. Cela parvient à gâcher des morceaux magnifiques tels que “Vénus” (“J’ai ce look ringard / Je vois tout en noir / Mais elle a ce regard, j’en brûle de désespoir” digne de “Les Yeux Revolver” de Marc Lavoine) ou “L’Enfant Prodige” (à l’emploi de passé simple un rien pesant “Et soudain je sentis sur mon épaule trempée / Une main redoutable qui me fit sursauter / Et soudain je la vis lentement s’approcher / Au creux de mon oreille je l’entendis murmurer…”). Lors des morceaux les plus lents (“Machination”, “La Détente”, “Au Crépuscule”), la voix et le texte occupent tout l’espace, pas toujours pour le meilleur… Heureusement, le groupe a le sens de la formule et parvient dans l’ensemble à sauver l’essentiel grace à des refrains percutants (“J’ai vu la lumière mais je n’ai pas pu la toucher”, “J’ai été frappé par un orage mécanique”) et surtout une musicalité à toute épreuve.
Les Shades ont sans doute voulu en envoyer plein les mirettes avec son premier album et se sont sans doute embourbés dans une sur-production par endroits. Un pêché de jeunesse vite pardonné car le talent est là, indéniable, et le génie pas très loin. Les Shades ont un potentiel ahurissant qui s’exprime par intermittences sur Le Meurtre de Vénus. Espérons qu’ils retiendront la leçon de leurs erreurs et nous produiront dans un an ou deux le grand album qu’ils ont en eux. Pour l’instant on se contentera de cet album imparfait mais très attachant.
Tracklisting :
01. À l’aube
02. Vénus *
03. De marbre *
04. L’enfant prodige
05. Judie
06. Orage mécanique *
07. Machination
08. Le prix à payer
09. La détente
10. Le temps presse *
11. Les yeux fermés
12. Au crépuscule *
Vidéos
“Orage mécanique”
“Au crépuscule”