RADIOHEAD – Meeting People Is Easy

Fitter, happier...

(Grant Gee 1998)

En 1997, Radiohead est au sommet, grâce au succès planétaire d’OK Computer, album sublime qui réconcilie le grand public et la critique. Le disque trône en tête de tous les classements de l’année et le faciès émacié et hagard de Thom Yorke, nouvelle idole du désenchantement, s’affiche sur la couverture des magazines. Les plumes rock s’empressent de qualifier OK Computer de bande-son d’une époque, de chef-d’œuvre technologico-baroque, de climax inégalable des nineties. Les gratteux du dimanche s’usent les doigts sur les premiers accords de « Karma Police », imparable tube au texte mystérieux. L’amertume cristalline de « No surprises » et les tournants imprévisibles de « Paranoid android » bouleversent les foules. Quelques années après le déferlement de la vague britpop, Radiohead conquiert les ondes dans une soudaine explosion de mélancolie foutraque et de bidouillage mélodique, tournant radicalement le dos à l’héritage dont se réclament Blur et Oasis pour imposer un son reconnaissable entre mille et mériter le funeste label de « meilleur groupe du monde ».

C’est avec cette étiquette dans le dos que le groupe se lance dans une gigantesque tournée mondiale, qui le mènera des Etats-Unis à l’Australie en passant par le Japon. Le film, très ambitieux dans la forme et éloigné des canons du « rockumentaire », suit le périple du quintet d’Oxford en mettant l’accent sur le profond mal-être de Thom Yorke, totalement dépassé par l’hystérie collective qui l’entoure et un statut iconique qu’il refuse d’assumer. En juxtaposant les morceaux d’interviews, les coupures de presse et les extraits de concerts sur un rythme saccadé et clipesque, Grant Gee parvient à restituer remarquablement le sentiment paranoïaque qui envahit le chanteur, prisonnier d’une surenchère médiatique et d’une success story qu’il ne maîtrise plus. Meeting people is easy propose une réflexion intelligente sur la perte du contrôle de l’artiste sur son œuvre lorsque les fans et les médias se l’approprient. Quand Yorke tend son micro vers le public qui brame en chœur le refrain de « Creep », il ne s’agit pas d’un moment de partage fusionnel, mais on ressent au contraire dans l’attitude de ce génie malingre et fragile une forme de renoncement face à une inéluctable dépossession. Sorties du studio, ses compositions les plus intimes sont devenues des hymnes de stade.

Malgré toute l’intensité tripale dont il fait preuve sur scène, Yorke n’a pas l’étoffe du frontman tout-terrain et charismatique: c’est l’anti-Jagger, l’anti-Liam, l’anti-star. Face à la paradoxale idolâtrie dont il fait l’objet, il se replie sur lui-même, s’isole dans la bulle de son univers sonore et, dès qu’il se retrouve face à la presse, ne peut que confesser son incompréhension et sa perplexité. Le titre du film apparaît alors dans toute sa cruelle ironie, puisque Yorke se perd dans l’immensité de sa solitude au moment-même où son tour du monde le met en contact direct avec des milliers d’admirateurs. Lorsqu’il évoque le concert de Glastonbury, il avoue avoir été submergé par une force surhumaine, une impression effrayante de puissance quasi-divine. Seulement, il n’a pas les épaules pour jouer les prophètes de fin de millénaire, et il perd pied alors que tout le monde pense qu’il marche sur l’eau. En apnée, Thom Yorke se noie, et c’est ainsi qu’il faut sans doute comprendre le clip de « No surprises », dans lequel le chanteur, engoncé dans un scaphandre de studio, voit le niveau de l’eau lui monter peu à peu jusqu’aux yeux. En pleine gloire, il expose son naufrage existentiel à la face du monde.

Meeting people is easy est totalement indissociable d’OK Computer, et Gee réussit à faire le lien entre l’atmosphère troublante et si particulière de l’album et la dimension déprimante d’une tournée pourtant triomphale. Il multiplie les plans sur les espaces urbains déshumanisés (gratte-ciels écrasants, interminables tapis roulants, escalators déserts, enseignes lumineuses, chambres d’hôtel solitaires), faisant ainsi de son film à la fois une plongée dans l’intimité du groupe et dans les doutes abyssaux de Thom Yorke et une sorte d’illustration visuelle d’OK Computer. Il utilise les images récoltées aux quatre coins de la planète pour construire une sorte de patchwork cinématographique, une vision glaçante d’un cauchemar moderne qui fait écho aux couplets désespérés de « Let down »: « Transport, motorways and tramlines / Starting and then stopping / Taking off and landing / The emptiest of feelings / Disappointed people / Clinging on to bottles / And when it comes it’s so disappointing. ».

 

Le film est disponible en intégralité sur Youtube

 
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Xavier
Invité
Xavier
1 décembre 2011 4 h 09 min

Remarquable article (sur un film pas évident à décrire)!! me voilà plongé 15 ans en arrière, le temps est passé vite…

A priori Thom Yorke a surmonté ce choc médiatique, et a repris pied. On y a quand meme bien perdu musicalement…

 

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