(2011)
Désireux de se réinventer constamment autant dans sa musique que sur la façon de la commercialiser, Radiohead a réalisé une OPA médiatique impressionnante sur la dernière semaine de février. Une véritable surprise d’autant qu’après l’exercice de com’ d’In Rainbows on pensait le groupe sur la touche pause (pensez-vous, on en était même arrivé au point où le batteur avait fait un album solo). On voyait Radiohead comme faisant partie des meubles et délaissé par ses fans nourris aux Inrockuptibles et à la bouffe bio partis faire d’Arcade Fire leurs nouveaux champions, mais le quintet d’Oxford a rappelé à quel point il comptait encore dans l’esprit des gens.
Lundi 14 février, l’annonce de l’arrivée imminente de leur album avait provoqué une première secousse sismique sur le net. Le vendredi 18, la sortie prématurée de The King Of Limbs (accompagné d’une improbable vidéo de Thom Yorke dansant la Tektonik en slow-motion) provoqua une réplique de plus grande envergure. Twitter, Facebook et tout ce qui ressemblait à un site d’actu culturelle se perdirent en conjectures. La journée fut révélatrice de la culture du “moi je” qui pourrit le net, cette extension de l’ego qui en pousse certains à faire la course et à écrire “preums” dans les commentaires de leurs sites préférés. Avant la fin de l’après-midi, des dizaines de milliers d’experts de la chronique en 140 signes avaient déjà partagé leur avis sur l’album en direct. Il y avait les convaincus d’avance (“Amazing !!! »), ces indécrottables qui avaient déjà pré-commandé l’album en vinyle au tarif exorbitant de 36€ (et qui de toute façon n’allaient pas avouer leur sentiment d’avoir acheté un disque en bois), il y avait les déçus (“Amnesiac all over again. Boring. ») et ceux qui n’en avaient rien à foutre mais regardaient cela d’un oeil amusé (“Has anyone got the number of Thom Yorke’s dealer, please ? »). Quelqu’en fut l’avis des gens, Radiohead avait néanmoins réussi son coup : l’espace d’une journée, il a semblé que la seule chose qui comptait sur internet fut le nouvel album du groupe.
Que reste-t-il de tout cela une quinzaine après ce big-bang 2.0 ? Pas grand-chose en fait. Une fois la course aux premières impressions terminée et les esprits calmés, le buzz autour de The King Of Limbs est rapidement tombé à plat et les chroniques sérieuses ont parlé. Si on en croit les titres de presse musicale traditionnelle, The King Of Limbs est un bon album, mais il lui manque quelque chose pour en faire un grand disque. Après de nombreuses écoutes de cet album, on est d’accord sur ce dernier point : aucun morceau ne marque de façon durable comme “Morning Bell” ou “2+2=5” ont pu le faire par le passé même si le niveau global est plutôt satisfaisant.
Dans le canon de Radiohead, The King Of Limbs est sans doute l’album le moins électrique du groupe depuis la mini-révolution Kid A qui avait traumatisé une génération entière par son abandon des guitares et son approche électronique. En 2000, ceux qui attendaient un album de rock de la part de Radiohead avaient été déboussolés. Aujourd’hui le même genre d’album, aussi excellent soit-il, donne l’impression de voir le groupe se répéter. On est ici clairement en territoire connu, même si des belles pistes comme “Bloom”, “Morning Mr Magpie” ou “Lotus Flower” convainquent à la longue (il faut du temps pour entrer dans l’album) et finissent par marquer un peu plus que le décevant In Rainbows. A vrai dire, on se surprend même à retrouver un certain enthousiasme pour Radiohead l’espace d’un moment ou deux mais cela est sans doute dû à la joie de revoir une bande de vieux compagnons toujours verts.
En vérité, The King Of Limbs est terrible pour Radiohead parce qu’il voit le groupe entrer dans le monde d’Oasis. Celui des albums qui se ressemblent tous un peu, des oppositions entre adorateurs fanatiques et moqueurs qui se gaussent des poses du groupe (il faut dire que vidéo de Yorke y a largement contribué), celui des nouveautés qu’on juge toujours à l’aune des chefs d’œuvres d’antan, celui de la perte de vitesse honorable mais inéluctable.
Peut-être que le groupe gagnerait à se faire un peu désirer. Il faudrait une séparation fracassante, avec déclarations tapageuses en une des journaux et inimitiés consommées. Yorke s’isolerait alors dans une position d’ermite pendant plusieurs années, gagnant ainsi une dimension mystique, tandis que les frères Greenwood joueraient dans le Radiohead Project à partir de la septième année de séparation. Au bout d’une décennie, le chanteur sortirait de sa retraite sous la pression des fans et consentirait à participer à la reformation du dernier grand groupe des années 90. Là on s’emballerait peut-être pour Radiohead, on aurait envie de savoir ce qu’ils ont encore dans le ventre. On aurait retrouvé l’envie d’écouter le groupe, ce que ne parvient pas à faire The King Of Limbs, disque compétent mais qu’on a l’impression d’avoir déjà entendu. L’histoire retiendra sans doute plus la façon dont il a été annoncé et mis en vente en ligne que les morceaux qu’il contient.
Tracklisting :
- “Bloom”
- “Morning Mr Magpie” *
- “Little by Little” *
- “Feral”
- “Lotus Flower” *
- “Codex”
- “Give Up the Ghost”
- “Separator”
Vidéo :
Thom Yorke sous acide