(Vice 2011)
Depuis quelques années, après une série d’excellents albums et en ayant gagné la juste réputation de livrer des concerts incroyables, les Black Lips se sont affirmés comme les têtes de file du mouvement garage-rock.
La parenthèse Almighty Defenders étant (provisoirement ?) refermée, le groupe emmené par Cole Alexander et Jared Swilley a choisi de prendre son temps, afin d’être sûr de la qualité de ce nouvel album, qui succède à 200 Million Thousand et Good Bad Not Evil, deux disques qui ont d’ores et déjà marqué leur époque. Pour la production de ce disque (qui doit son nom à un inselberg de l’état de Géorgie dont viennent les Black Lips), le groupe s’est adjoint les services de Mark Ronson, un des producteurs les plus demandés depuis la sortie de Back to Black, le deuxième album d’Amy Winehouse.
En guise de réponse aux légitimes interrogations suscitées par cette collaboration, le premier morceau, « Family Tree », est une entrée en matière survoltée sur laquelle en quelques secondes le groupe reproduit l’ambiance foutraque et réjouissante de leurs concerts, appuyée par un jeu de saxophone assez exubérant. Le choc est tel que plusieurs écoutes de cette chanson nous furent nécessaires avant d’en déceler l’immense beauté impudique. De fait, les Black Lips s’y livrent sans détour (à l’image de leurs prestations scéniques, diront certains mauvais esprits) et enregistrent avec cette première chanson une piste d’une beauté à pleurer, crue et violente : le disque est lancé de façon magistrale.
De fait, les premières chansons de ce nouvel album forment un enchaînement délirant, d’un niveau rarement atteint : après l’orgie sonique que constitue « Family Tree », « Mad Dog » enfonce le clou et ramène le groupe vers un garage-rock plus classique et terriblement efficace, un style qui caractérise une bonne partie des chansons d’Arabia Mountain. L’album possède quelques moments de pure évidence rock’n’roll : le riff de guitare très clair qui conduit « Spidey’s Curse » (une chanson aux paroles absurdes de soutien moral à Peter Parker, le nom d’état-civil de Spider-man), celui très classique de « Time », la mélodie sifflotée de « Raw Meat » étrangement réconfortante. Les pistes de l’album laissent une place à divers hurlements enthousiastes, utilisés dans le chant principal ou dans les chœurs, et puisent délibérément leurs sources dans le garage–rock américain des années 1960 (on pourrait croire « Don’t you mess with my baby » et « Time » tirées de la compilation Nuggets).
La principale faiblesse des albums des Black Lips jusque-là était leur relative longueur ; malheureusement, c’est encore le cas pour Arabia Mountain : sur les seize chansons qui composent l’album, certaines ne semblent pas indispensables. Si ces pistes sont loin d’être honteuses, elles empêchent de faire de ce disque le classique qu’il aurait pu être : la densité de l’ensemble souffre ainsi de la présence de quelques morceaux (dont « The Lie », puis sur « Noc-A-Homa », qui rappelle à la fois les Beatles de « You can’t do that » et Paul Revere & the Raiders (« I’m not your steppin’ stone »), sans se hisser au niveau de ces deux chansons).
Cependant, malgré ces défauts relatifs, le groupe a une nouvelle fois enregistré des chansons prodigieuses qui semblent capables de conquérir n’importe quel auditoire. Portés par une réputation sulfureuse qu’ils entretiennent avec soin (Cole Alexander affirmant dans un élan mystique avoir utilisé un crâne humain pour recréer le son de jarre électrique des 13th Floor Elevators), les Black Lips montrent surtout qu’ils ont un coup d’avance sur la plupart des autres groupes garage contemporains, par l’aspect musical (utilisation d’un saxo sur « Family Tree » et « Mad Dog » et d’une scie musicale sur « Raw Meat », « Modern Art » et « Bone Marrow »), mais surtout par l’aspect mélodique de leurs chansons : au-delà du décorum, les Black Lips sont un grand groupe, aux productions précises et serrées. Arabia Mountain a fait mieux que confirmer leur statut d’icônes modernes, et restera comme une des belles réussites de l’année.
Liste des chansons :
- Family Tree *
- Modern Art *
- Spidey’s Curse *
- Mad Dog *
- Mr. Driver
- Bicentennial Man *
- Go out and get it
- Raw meat *
- Bone Marrow
- The Lie
- Time *
- Dumpster Dive
- New Direction
- Noc-A-Homa
- Don’t mess up my baby
- You keep on running *
Vidéos :
“Family Tree”
“Go Out And Get It”
“Modern Art”
Vinyle :