(Vice 2009)
A l’écoute des premiers morceaux lâchés sur Internet par le groupe, on a eu l’impression que les Black Lips avaient molli, qu’ils s’étaient rangé dans une pop lo-fi. Cette impression s’évaporait un peu après les premières écoutes de 200 Million Thousand mais quelque chose d’étrange subsistait… En réécoutant leurs albums précédents, on a compris d’où provenait notre méprise : si les Black Lips sont un groupe flamboyant et spectaculairement déjanté sur scène, leurs albums sont en général remarquablement équilibrés et apaisés.
Le schéma est toujours le même. On retrouve dans chacun d’eux une paire de morceaux échevelés aux refrains marquants (façon “Buried Alive”), quelques slows aigres-doux (façon “Dirty Hands”), une ou deux pépites garage aux gimmicks mémorables (façon “Oh Katrina”) et de nombreux morceaux noisy qu’on oublie assez rapidement. Le groupe fonctionne ainsi depuis ses débuts et possède ainsi une discographie remarquablement fournie et variée mais inconstante. A la façon des plus grands groupes garage sixties, les Black Lips ne font pas de grands albums mais pondent régulièrement des pépites réellement délicieuses.
200 Million Thousand remplit parfaitement le cahier des charges des Black Lips à tous les niveaux. Le son est étouffé et bordélique à souhait – calibré pour les petites salles, refusant tout désir de sonner ample – et quelques morceaux font mouche. Pour l’aspect braillard, les Black Lips envoient un “Drugs” à la rythmique fifties contagieuse et un “Again & Again” blindé de fuzz. Pour les morceaux plus lents, on est gâté avec la ballade “Starting Over”, mélange improbable de “There She Goes” des La’s et de “I Wanna Be Your Boyfriend” des Ramones, et un grand nombre de morceaux aux ambiances inquiétantes (la funéraire “Old Man”, “Body Combat” qui évoque les Fuzztones)
200 Million Thousand se démarque des autres albums des Black Lips par la qualité de ses morceaux dits “de remplissage”, pour la plupart excellents (cette tendance s’était déjà affirmée avec Good Bad Not Evil, leur meilleur album à ce jour). La pop lancinante de “Let It Grow” et “Trapped In A Basement” fonctionne très bien, entraînant l’auditeur dans un état d’hypnose dont il ne sort que grâce à la mélodie irrésistible de “Short Fuse”, un des morceaux phares de l’album.
Comme souvent chez les Black Lips, la face B traîne en longueur, et on peut trouver que le grand nombre de morceaux lents casse le rythme (surtout quand il y a peu de morceaux nerveux comme c’est le cas sur 200 Million Thousand). Le problème ici ne concerne pas la qualité des morceaux mais plutôt leur quantité. Ecoutées individuellement, les chansons paraissent excellentes. Ecoutées dans la continuité de l’album, ces ballades défoncées pâtissent de leur placement tardif. Lancinantes (“Old Man”), vaporeuses (“The Drop I Hold”), parfois pesantes (“God” et son dialogue métaphysique censuré de bips), ces chansons entraînent l’auditeur dans un état semi-comateux quand on attend des Black Lips un rock’n’roll dansant et enjoué – ce qu’ils font lors de leurs concerts.
On on revient à notre erreur initiale : pour avoir vu les Black Lips en concert, on attendait d’eux un album plein d’énergie. C’est oublier que leur discographie se veut plus variée que les termes “garage-rock” ou “flower punk” le laissent entendre. Plus reposé que Good Bad Not Evil, son prédécesseur, 200 Million Thousand est un excellent album. La face B aurait sans doute gagné à être plus courte, l’équilibre de l’album n’en aurait été que meilleur. C’est le seul reproche qu’on lui fera, car pour le reste, c’est du tout bon.
Tracklisting :
1. Take My Heart *
2. Drugs *
3. Starting Over
4. Let It Grow
5. Trapped in a Basement *
6. Short Fuse *
7. I’ll Be With You
8. BBBJOT *
9. Again & Again *
10. Old Man
11. The Drop I Hold
12. Body Combat
13. Elijah
14. I Saw God
Vidéo :
“Trapped In A Basement”
Vinyle :