(Eye Vybe Records 2014)
Charlie Hebdo, Daevid Allen, Sharon Tandy, Kim Fowley, Christopher Lee, Charles Pasqua… Sans conteste, 2015 est une année pourrie et on a tous hâte qu’elle se termine avant que Dylan et McCartney ne finissent, eux aussi, par y laisser leur peau. Pourtant, dans nos cœurs de rockers, 2015 est encore douce, car nous savons qu’aucune année ne surpassera jamais 2014 dans le top 10 des années haïssables. 2014, soient 12 longs mois d’errance, de douleur et de déception, constamment entretenues par de méchants esprits. C’est un fait que toutes les années 2015 du monde ne parviendront à nous faire oublier : l’an passé, nous n’avons pas entendu Fun With Gum Vol.1, alors même (rendez-vous compte) que l’album était bouclé depuis l’été 2013, que deux extraits mirifiques avaient été sournoisement lâchés par Burger en septembre de la même année et que, tous les deux mois, on nous annonçait la sortie imminente de ce qui s’annonçait comme une Épiphanie Bubblegum vouée à sauver le monde. Nous avons souffert – bien sûr. Nous avons pleuré.
Aussi, alors que se profilait la fin de cette année maudite des dieux, John Krautner, Christ des temps modernes probablement inquiet des conséquences sociales de pareille aberration historique (et peut-être aussi un peu lassé de n’avoir que des pin’s à vendre sur son stand de merch), offrit à son public exsangue une petite compensation : une split cassette de démos, partagée entre Krautner solo en face A et le groupe Feelings (mené par l’ami de longue date Dave Buick) en face B. Visiblement enregistrée dans des conditions frustes (quasi live, un son très, très lo-fi, des instrumentations minimales, un emballage fait maison) pendant le « deuxième weekend de novembre 2014 » et pressée à 100 exemplaires la semaine suivante, cette référence ne semble en effet pas avoir d’autres buts que celui de pallier un manque. En d’autres termes, rien de franchement essentiel pour quiconque n’est pas toqué de The GO. Pour autant, l’un des meilleurs singer-songwriters de la planète est impliqué dans l’affaire : cet EP n’est donc pas négligeable.
En face A, Krautner livre quatre bluettes très proches dans l’idée de ce qu’on peut entendre sur les morceaux les plus cheesy de son album solo (il ne serait d’ailleurs pas très surprenant de retrouver plusieurs de ces titres sur un éventuel Fun With Gum Vol. 2) : du bubblegum aux textes tendres, joué à la guitare acoustique (démo oblige) et agrémenté d’un clavier pouët-pouët occasionnel ou de quelques harmonies vocales. « What Can We Do About Sharon? » creuse ainsi le même sillon que « Where is Terry? », quand la mélancolie de « That’s Where I’m At » rappelle celle de « I Can Cry Too ». L’équilibre curieux et fascinant que Krautner est parvenu à trouver entre premier degré dénué du moindre cynisme et distance d’adulte nostalgique est désormais parfaitement rôdé, à tel point qu’il nous paraît difficile d’y rester insensible (on comprendrait d’ailleurs que tant de sentimentalité débridée puisse agacer certains de nos lecteurs les plus virils et fermés d’esprit).
Pour pallier l’absence chronique de rock ‘n’ roll en face A, Feelings est là. Rappelons aux benêts qui n’ont pas appris par cœur la page Wikipédia de The GO que Dave Buick est l’homme qui tenait la basse sommaire sur Whatcha Doin’ – une sorte de Sid Vicious (lui non plus ne savait pas accorder son instrument) en moins débile. Il ne faut donc pas s’attendre à du Chuck Berry en retournant la cassette, ni même à du Dirtbombs : pas aidé par la qualité du son (vraiment mauvais ici), le groupe sonne brouillon, mais surprend par la qualité inattendue de ses mélodies. Trop lent pour être punk, trop sale pour être pop, presque grunge, la musique de Feelings est surtout un gros bordel joué avec beaucoup d’enthousiasme comme les habitants de Detroit ont l’habitude d’en faire. On prend, toujours.
On le répète : si vous n’êtes pas plein aux as, réfléchissez à deux fois avant de dépenser 10 euros pour acheter cette cassette. Du fait de la qualité du son et de leur caractère accessoire, presque officieux, les Vinewood Demos sont plus ou moins réservées aux fans. Il n’en demeure pas moins que les circonstances particulières de leur enregistrement (un truc intimiste, enregistré à l’arrache entre potes) et la musique qu’on y entend rendent cet EP très attachant et tout-à-fait apte à accompagner une Suze estivale ou un câlin d’amoureux. Beaucoup d’âmes tendres et de freaks invétérés, sûrement, trouveront là satisfaction, et à ceux-là en particulier, nous conseillons l’écoute de ces morceaux.
Tracklisting :
Face A (John Krautner) :
- What Can We Do About Sharon? *
- Upside Down Bat *
- That’s Where I’m At
- Summer-y Love *
Face B (Feelings) :
- Trash on Demand *
- NPR Death
- Retail Fantasy
- I Already Knew
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En écoute :
John Krautner – “Upside Down Bat”
Feelings – “Trash On Demand”
Cassette :