(XL 2006)
La presse britannique a beaucoup parlé de Tapes ‘n’ Tapes cet été, notamment lors du congrès SXSW (South By South West, une espèce d’immense festival qui a lieu au Texas, où les acteurs du monde musical se rencontrent, autrement dit groupes, labels et journalistes) où le groupe a fait sensation. Les maisons de disques se sont battues pour les signer, la hype a atteint un niveau ridicule jusqu’à la sortie de l’album, puis le soufflé est retombé au point que l’arrivée de The Loon en France paraît anecdotique.
Il serait dommage de passer à côté de ce disque qui, pour une fois, ne déçoit pas et fait honneur à sa flatteuse réputation. S’il paraît évident que ce groupe ne rencontrera jamais un succès de masse, c’est sans doute parce qu’il possède toute la panoplie du parfait groupe indépendant américain : un son lo-fi à l’approche amateuriste, un charisme inexistant, l’ambition mesurée mais réaliste d’écrire des chansons de poche de qualité.
The Loon regorge d’idées ingénieuses et de chansons bricolées de façon géniale. La batterie sobre et la simplicité de “Just Drums” où chaque accord est appuyé tandis que des “ah-ah” étranglés fleurissent autour de la mélodie, reflètent l’efficacité tranquille du groupe. Plusieurs morceaux fonctionnent sur ce mode, notamment ‘extraordinaire “Cowbell”, avec sa ligne de basse bondissante, sa guitare acoustique martelée envoûtante, son refrain chaloupé et son solo de guitare minimaliste. On sent, dans ces morceaux à la rythmique un peu raide et au son étouffé, poindre l’immense influence des Feelies.
Le talent des Tapes’n’Tapes leur permet de bricoler avec des genres musicaux assez variés et d’en tirer des chansons surprenantes. “Crazy Eights” fait tourner en boucle un riff blues crade, entrecoupé de chœurs qui rappellent les Pixies et d’un bref passage au synthé plutôt surprenants. “Iliad” propose un rythme bossa-nova acoustique avec une ocarina improbable en contrepoint de la mélodie. Celle-ci est chantée d’une voix incertaine par Josh Grier qui, sur ce coup là, rappelle étonnamment Alan Vest des Starlight Mints. La chanson part ensuite dans un refrain que le groupe refuse de faire décoller – ce n’est pas dans leur intention de recourir à des artifices pompiers –, et qui brille par sa retenue. La raison vient des paroles : cette chanson faussement guillerette est en fait une sorte de “When I’m 64” désabusé. L’optimisme n’a pas sa place chez Tapes ‘n’ Tapes (qui ne sont pas sinistres pour autant) : “And when my bones get older/Will you drag me to my knees?”…
Si le groupe s’embarque parfois dans des morceaux emballants, à l’image de l’accrocheur single “Insistor” (surf-rock folkeux qui rappelle étrangement à “Bullwinkle Part II” des Centurians, surf-song popularisée par la B.O. de Pulp Fiction), la tonalité générale de cet album est plutôt reposée. On trouve beaucoup de morceaux lents, à l’image de la berceuse “Manitoba”, ou des ballades comme “In Houston” et “Gallon Ascots”… mais à chaque fois le groupe ne peut s’empêcher de donner des fins bordéliques à tous ces morceaux – quelques solos surprenants, des crises de nerf, une ou deux sorties de piste – qui, dynamités par l’esprit dérangé de ses auteurs, prennent une autre dimension. Du coup, quand le groupe se la joue plus classique, comme dans “Buckle”, chanson triste à la belle mélodie, on est presque déçu de ne pas voir le groupe envoyer sa chanson dans le mur. Etrange sensation.
The Loon est un disque indé surprenant comme on en déniche chaque année aux Etats-Unis. La simplicité du groupe, son aptitude à bidouiller des bonnes chansons avec trois fois rien, font de The Loon un album singulier et très plaisant. Recommandé.
Tracklisting :
1. Just drums
2. The illiad *
3. Insistor *
4. Crazy eights
5. In Houston
6. Manitoba
7. Cowbell *
8. 10 gallon ascots
9. Omaha
10. Buckle
11. Jakov’s suite
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“Insistor”