(Columbia Records ; 1967)
Au moment d’entamer la rédaction de ce nouvel article, constatons avec un peu d’amertume le fait suivant : Malvina Reynolds, née le 23 août 1900 à San Francisco, ne compte pas parmi les chanteuses nord-américaines les plus connues.
Celle dont Pete Seeger, l’une des deux figures tutélaires du folk US d’après la deuxième guerre mondiale (avec Woody Guthrie), disait qu’elle était l’une des plus importantes songwriters du vingtième siècle est aujourd’hui largement inconnue. Le seul titre de gloire généralement accordé à Malvina Reynolds est celui d’avoir écrit et composé « Little Boxes », une piste reprise par un nombre incroyable d’artistes depuis bientôt cinquante ans, et qui a depuis longtemps atteint le statut de classique.
Fille d’immigrants, Malvina Milder fait des études de philologie à l’université de Berkeley (Californie), jusqu’à y obtenir un doctorat. A cette époque, divers éléments l’empêchent de trouver une université où elle pourrait enseigner : le fait d’être juive, celui d’être socialiste, associés à celui d’être une femme. Mariée à un charpentier syndicaliste, elle travaille en tant que « social worker », puis à l’usine, et écrit dans divers journaux locaux. Dans les années 1940, elle rencontre des musiciens et des chanteurs folk (notamment Earl Robinson et Pete Seeger) qui la décident à écrire des chansons pour défendre ses idées, mais aussi pour distraire les enfants.
C’est ainsi à l’âge respectable de soixante-sept ans que Malvina fait ses débuts discographiques chez une grande compagnie de disque. Avant cet album, publié par Columbia Records qui était alors un des géants mondiaux de l’édition de disques, Malvina Reynolds avait déjà sorti en 1960 Another County Heard From (sur le label Folkways), dont la diffusion était restée cantonnée au milieu folk de son époque. John Hammond, un des hommes importants de Columbia au début des années 1960 (il a notamment révélé Aretha Franklin et produit les premiers disques de Bob Dylan), supervise l’enregistrement et s’occupe de la production de l’album de Malvina sings the truth. L’orchestration présente sur ce disque est très minimale : une guitare acoustique et parfois une basse sont les seuls éléments qui accompagnent la voix éraillée et souvent hésitante de Malvina Reynolds. Afin de préparer nos lecteurs à l’écoute de ce disque, signalons qu’à propos de sa voix, Malvina avait elle-même confié à un critique avoir l’impression de chanter avec grenouille coincée dans la gorge la moitié du temps.
Que celles et ceux parmi vous que la dernière phrase effraierait vaquent à leurs quotidiennes et probablement risibles occupations. Pour les autres, que retenir de cet album oublié et de cette grande dame ? Une poignée de chansons fabuleuses, pour lesquelles il faut signaler une évidence mélodique immédiate (« Battle of Maxton Field », « Little Boxes », « What’s going on down there ? ») ne doit pas faire oublier la qualité fantastique des textes (qui ont été compilés à la page suivante : http://people.wku.edu/charles.smith/MALVINA/songmenu.htm). Les paroles des chansons sont souvent imagées et drôles, et les formulations trouvées par Reynolds n’ont rien perdu en pertinence, plus d’un demi-siècle après leur enregistrement. L’utilisation de l’humour pour pointer les défauts de la société était une caractéristique importante de la tradition folk, largement perpétuée par Bob Dylan, Richard Farińa, Tom Paxton, Woody Guthrie… A ce titre, des chansons comme « The New Restaurant » est un modèle du genre, à la fois drôles et terriblement expressives. Pour autant, Reynolds est loin de se cantonner à ce style ; certaines de ses compositions sont plus simplement poignantes et douloureuses, comme par exemple « What have they done to the rain ? » et surtout « Bitter Rain » qui clôt ce disque.
Assez logiquement (puisque Malvina Reynolds avait contribué à leur popularisation longtemps avant d’enregistrer cet album), les thèmes qui parcourent ce disque sont assez caractéristiques de la scène folk nord-américaine des années 1960 : pacifisme, écologie, crainte d’un avenir incertain (liées aux thèmes précédents par les menaces de pollution et de guerre), d’une industrialisation et d’une automatisation à outrance. Erudite et réfléchie, Reynolds place également dans son œuvre des éléments de la culture de son pays : présence de Dieu et du diable (« God bless the grass » ; « The Devil’s baptizin », « Singin’ Jesus »), du Ku Klux Klan (« Battle of Maxton Field »), et considère les rapports à l’autre tels qu’ils existaient à son époque (la situation des noirs, celle des communistes, et plus largement celle de tous ceux qui ne pensent pas comme ils sont censés le faire)… Dans une de ses plus remarquables chansons, « I don’t mind failing », elle résume brillamment les valeurs qui ont conduit sa vie (d’artiste et de femme) ; citons notamment le deuxième couplet : « I’ll stay down with the raggedy crew / ’cause getting up there means stepping on you / I don’t mind failing in this world »).
Objet discographique sans équivalent dans l’histoire de la musique folk des années 1960, Malvina Reynolds sings the truth est un disque à (re)découvrir : les grandes chansons qu’il contient restent aujourd’hui comme le témoignage d’une immense artiste, et la plupart des thèmes qu’il aborde sont toujours d’actualité.
Liste des chansons :
- The New Restaurant *
- What’s going on down there?
- Little Boxes *
- Battle of Maxton Field *
- God Bless the grass
- I don’t mind failing *
- What have they done to the rain?
- The Devil’s baptizin
- Singin’ Jesus
- The Bloody neat
- Quiet
- Love is something (the magic penny)
- Bitter rain *
Vidéos :
“Little Boxes”